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Changement de paradigme pour la gestion du changement ? par C Babonneau

Le changement est partout…

Dans nos entreprises françaises, 9 salariés sur 10 disent avoir vécu un changement au cours des 3 dernières années…Quand la plupart d’entre eux s’accorde sur le fait que ceux-ci sont « positifs » et « indispensables », beaucoup considèrent également que ces changements sont « trop fréquents » voire « inquiétants » (Source IFOP). Réorganisations structurelles, réductions d’effectifs, changements de gouvernance, de processus, de méthodes de travail, d’outils de production…Les points de départ sont multifactoriels et les conséquences touchent tous les profils. Alors que le contexte covidien semble encore démontrer l’omniprésence du changement dans nos sociétés, comment faire pour s’y préparer, et s’y adapter ?

…et pourtant 70% des projets de conduite du changement échouent…(Torben Rick)

Les experts du changement semblent être de plus en plus nombreux et pourtant la plupart des projets de conduite du changement sont des échecs. Où est donc passé le mode d’emploi ? Est-ce possible que tout ce que nous pensons savoir sur la gestion du changement soit faux ? Est-ce la discipline en soit qui n’a plus de raison d’être puisque que tout change tout le temps (« Change is the new normal ») ? Comment pouvons-nous « repenser » notre façon de gérer le changement ? Toujours selon Torben Rick, les causes principales de l’avortement de ces « projets » (personnellement je n’aime pas tellement l’utilisation du mot projet qui minimise l’importance du changement) sont la résistance des employés (39%) et l’absence de support des managers (33%). Seulement 14% des échecs sont dus à un manque de ressources (budgétaires ou humaines)…

Mais au fait, c’est quoi le changement ?

Beaucoup de termes gravitent autour de la notion de changement : transition, transformation, évolution…ces termes désignent-ils exactement le même concept ?

William Bridges, conférencier et consultant américain (« Transitions de vie : comment s’adapter aux tournants de notre existence ? ») définit la transition comme un processus psychologique d’adaptation au changement. La transition est donc un processus intérieur et personnel, qui selon lui démarre d’abord par la fin et se déroule en 3 étapes :

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  1. La Fin : résistance à perdre quelque chose de connu, c’est la fin d’une situation habituelle, rassurante.
  2. La Zone neutre/chaos : zone de trouble qui peut durer un certain temps, la véritable transition a lieu ici, elle vient remettre en cause le connu et apporte avec elle son lot d’agitation.
  3. Le Début : la nouvelle situation est en place, c’est le nouveau départ qui démarre, le plan d’actions est en marche. Une nouvelle ère pleine d’énergie.

Le Changement, quant à lui, est extérieur et visible. Il est le passage d’un état à un autre.

La Transformation va encore plus loin, car elle induit une nouvelle forme, un changement en profondeur…bien plus qu’un simple reboot.

L’évolution, fait référence à la transformation du monde vivant au cours du temps.

Un Processus ou des processus de changement ?

Le processus de Bridges fait écho à une autre théorie en 3 étapes, celle de Kurt Lewin. Et oui, les théories sur le changement sont nombreuses – c’est aussi ce qui rend ce sujet passionnant, dès que l’on tente de « rationaliser » ou d’expliquer des comportements humains, chacun y va de sa petite touche 😉! – Parmi les incontournables donc, la théorie du psychologue Kurt Lewin qui présente 3 phases dans le processus de changement :

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  1. Unfreeze (phase de dé-cristallisation ou dégel) : la prise de conscience de l’urgence de la situation actuelle, phase dans laquelle on abandonne ses habitudes, on remet en cause le connu, c’est un peu douloureux. Pour vulgariser, c’est un peu l’étape de « la claque ».
  2. Change (phase de déplacement) : les esprits sont prêts à changer, on commence la phase d’expérimentation en tant que telle. Pour vulgariser, c’est un peu l’étape de « Ok, la joue est encore rouge, mais je me bouge ».
  3. Refreeze (phase de cristallisation) : la phase d’ancrage, où les nouveaux comportements deviennent des habitudes. Si cette étape est négligée, retour à la case départ. Pour vulgariser, c’est un peu l’inverse des « bonnes résolutions », ou encore, le mythe des fameux 21 jours pour changer (si j’arrive à arrêter de manger du chocolat pendant 21 jours, c’est gagné !)

Comment faire pour passer ces étapes avec succès ?

Les théories sont nombreuses, et concrètement sur le terrain, cela n’est pas si évident. Il s’agit d’un sujet complexe et il n’existe pas à proprement parler de feuille de route prête à l’emploi qu’il faudrait suivre à la lettre comme un jeu de l’oie (même si un jeu de l’oie existe vraiment sur la thématique!). Si c’était aussi facile, vous n’auriez pas pris le temps de me lire jusqu’ici 😊.

En revanche, la bonne nouvelle c’est que les experts se sont penchés sur le sujet pour établir des grands principes parmi lesquels Kotter, qui dès 1996, établit 8 grandes étapes incontournables pour avancer en se donnant les meilleures chances de réussite. Ce qui est intéressant dans son modèle, c’est qu’il donne le leadership aux managers, et déconnecte en même temps la gestion du changement d’une « simple » gestion de projet.

  1. Créer un sentiment d’urgence : faire comprendre que le changement est indispensable à la survie
  2. Constituer une coalition puissante : un groupe de personnes compétentes et influentes
  3. Développer une vision et une stratégie du changement : définir le pourquoi et le comment
  4. Communiquer pour faire comprendre et adhérer : tenir au courant, donner à voir grâce à une communication régulière et transparente
  5. Éliminer les obstacles : en donnant le pouvoir d’agir
  6. Démontrer les résultats : en produisant des victoires à court terme, des succès visibles le plus rapidement possible
  7. Bâtir sur les 1ers résultats : renforcer et accélérer le mouvement grâce aux premiers succès
  8. Ancrer les nouvelles pratiques : en soutenant les nouveaux comportements

Si vous souhaitez aller plus loin, il existe un atelier intéressant à faire avec des équipes qui font face au changement : le jeu de l’oie du changement (vous pouvez le trouver dans le livre « Passez en mode workshop » mais aussi dispo ici). L’idée n’est pas de suivre cette feuille de route à la lettre, mais c’est une façon ludique de mieux comprendre les étapes en se projetant dans un contexte familier. Vous pouvez l’animer en environ 2h pour 5 à 15 participants, l’objectif étant d’appliquer les étapes de Kotter à votre entreprise en faisant réfléchir les participants à leur contexte.

Adapter les étapes à sa propre culture grâce aux couleurs du changement

Ces 8 grandes étapes permettent de mieux comprendre comment déployer une stratégie de changement. La question qui peut se poser ensuite est « comment adapter ces étapes à ma culture d’entreprise ? ». Chaque entreprise possède des spécificités dans son fonctionnement, et il n’est pas toujours possible de mettre en œuvre les modèles de change management, pour différentes raisons. Les 5 couleurs du changement (Léon de Caluwé et Hans Vermaak) peuvent donner un éclairage intéressant à ce stade car ils permettent de mieux cerner la culture de l’entreprise au sein du processus de changement pour lever les résistances. « Si je te demande de changer, la première chose que tu vas faire c’est ne pas avoir envie de changer ». Autrement dit, la résistance au changement provient de l’injonction à changer. « Colors of Change » part du principe que changer est un exercice collectif qui doit faire appel aux préférences individuelles de chacun, et non assujettir les individus à l’injonction du changement. Le modèle propose de regrouper les mentalités selon 5 façons de penser le changement :

  • Mentalité jaune : le changement arrive lorsque les intérêts des parties prenantes sont nourris. L’idée est d’obtenir une situation « gagnant/gagnant ». L’issue du changement est incertaine car elle dépend des jeux de pouvoir en place.
  • Mentalité bleue : le changement intervient avec une modification d’ordre technique. Il s’agit ici d’un processus rationnel, guidé par des objectifs clairement définis dès le départ. On respecte le plan. L’issue du changement est plus facilement atteignable, mais cette mentalité met de côté les aspects humains du changement.
  • Mentalité rouge : le changement intervient grâce à un système de récompense / punition pour motiver les troupes. Ici, l’accent est mis sur l’humain et le management. Les outils liés au management de la performance sont légion (ex incentives…). Le succès n’est pas garanti car il repose uniquement sur la faculté du groupe à se mettre en action.
  • Mentalité verte : le changement intervient au sein d’une situation d’apprentissage. La motivation principale vient de l’envie d’apprendre et d’évoluer. On est typiquement dans une culture d’organisation apprenante et l’accent est mis sur la formation et le développement personnel. Le succès n’est pas garanti car il repose encore une fois sur les individus et pas sur le processus.
  • Mentalité blanche : le changement est perçu comme un processus continu et dynamisant, dans lequel les individus s’autogèrent. La liberté et les initiatives font loi. Par exemple, des programmes d’intrapreneuriat peuvent être mis en place. Ici, le résultat est imprévisible car la route est aussi la destination.

Maintenant que vous avez repéré la couleur de votre entreprise, vous pouvez essayer d’adapter les étapes de votre feuille de route à vos propres couleurs…

Et les émotions dans tout ça ?

Qu’on le veuille ou non, le changement fait peur. Et c’est normal !

Frédéric Le Moullec l’évoque dans le bar virtuel de l’Ecole de l’Impossible, en évoquant les origines du mot peur : latin « pavor » qui signifie « ce qui nous frappe » et grec « phobos » qui fait référence à « ce qui nous fait fuir ». Il propose notamment 3 antidotes pour faire face à la peur et oser changer :

  1. Élargir sa conscience
  2. Remettre en cause ses opinions, et
  3. Changer « pour », jamais « contre ».

La peur est donc une émotion qui sert à nous protéger ! Imaginez une biche dans la forêt. Elle entend du bruit. Un prédateur se dirige vers elle. 3 réactions sont possibles (les 3 F) : Fight : elle se bat. Flee : elle fuit. Freeze : elle fait la morte. La peur dans notre cerveau fait donc appelle à notre réflexe de survie.

Dans le contexte du changement, la peur peut prendre 4 formes distinctes selon Edgar Schein :

  1. Peur de l’échec : vais-je être à la hauteur du changement ?
  2. Peur d’une sanction : que vais-je perdre ? comment vais-je être jugé ?
  3. Peur de perdre son statut
  4. Peur de perdre son rôle dans le groupe

Fermer les yeux sur les émotions est donc le meilleur moyen de rencontrer l’échec dans une démarche de changement. Le problème vient en parti du fait qu’on demande aux salariés, une fois qu’ils ont badgé, de laisser le côté « personnel » dehors (Arnaud Tonnelé). En institutionnalisant cette schizophrénie, on oblige les individus à se travestir et à écraser la phase de deuil qu’ils vont forcément traverser (Kubler-Ross). Tout changement évoque d’abord un renoncement, un abandon, et la première question qui vient en tête est « qu’est-ce que je vais perdre » (Bruno Jarrosson). Faire s’exprimer les individus sur leurs peurs est donc une première étape, qui peut être difficile à gérer, mais qui parait indispensable pour lever les résistances une fois le processus engagé.

Le changement présente son lot de complexité. Comme le dit très bien Laurent Bibard : nous vivons actuellement une tension entre le court et le long terme, dans le sens où nous sommes en permanence tiraillés entre une « contribution immédiate et maximale » versus un besoin de trouver des solutions nouvelles pour faire face à l’incertitude d’événements « qui ne sont pas probabilisables ». Or, le long terme devient de plus en plus incertain, et donc de plus en plus prégnant. Ce que cela change concrètement ? Que plus que jamais, tout change tout le temps ! « Une organisation qui ne fait que ce qu’elle sait faire, tôt ou tard va à l’échec » (Laurent Bibard). Autrement dit, si on continue d’agir avec ce que nous savons pour faire face au long terme sans s’adapter, on va droit dans le mur…

Plus que jamais, naviguer dans la complexité du changement devient une priorité pour chacun d’entre nous. La « discipline » prend tellement de place qu’on peut se demander si la gestion du changement n’est pas finalement en train de devenir une gestion du présent…

« Passez en mode workshop » mais aussi disponible sur internet en recherchant « Jeu de l’oie du changement). Assez simple à animer, il permet de balayer les 8 étapes en se projetant dans l’entreprise, et de se familiariser avec le changement.

Source : https://www.linkedin.com/pulse/changement-de-paradigme-pour-la-gestion-du-cl%C3%A9mentine-babonneau/