Les 5 principes de l’effectuation
L’effectuation fait ressortir 5 grands principes appliqués par des entrepreneurs qui ont développé leurs activités avec talent. Voyons ce qu’il en est.
Pour développer une activité, nous connaissons tous, l’approche causale basée sur les roadmaps, les business models… La logique est de construire des hypothèses, de prévoir les risques, d’estimer le retour sur investissement, de planifier les besoins en ressources et de se lancer.
Dans le monde des startups, une nouvelle approche s’est également généralisée. Le lean startup. Le principe est légèrement différent. L’idée est d’identifier un client cible. La startup qui développe une solution d’innovation de rupture doit considérer que son client n’est pas encore en mesure de savoir ce qu’il veut, ce qui génère une difficulté pour définir son besoin. Le principe est alors de faire une version simplifiée du produit (Minimum Viable Product), de la mettre dans les mains du client et d’itérer en fonction des observations que l’on fera. C’est très clairement une stratégie d’apprentissage par petits pas.
Une autre approche est le design thinking. Cette fois, le principe est de générer de l’innovation en partant d’un besoin utilisateur. L’idée est de chercher à comprendre ce qui rend un produit désirable. Pour cela, on se met à la place de l’utilisateur, on analyse son besoin sous des regards transdisciplinaires (marketing, design, ingénierie…) pour permettre l’émergence d’une solution faisable et fiable. C’est très performant pour innover quand le besoin client est connu ou le cas d’usage identifié. Cela montrera des limites si vous partez d’une innovation technique et que vous cherchez le marché porteur.
Aujourd’hui, j’aimerais aborder avec vous un autre principe. L’effectuation. C’est une approche qui a été développée par Saras Sarasvathy à la fin des années 90. Pour cela, elle a sélectionné 27 entrepreneurs experts et les a mis en situation pour comprendre leur fonctionnement. Le résultat de sa thèse montre qu’on peut regrouper les actions des entrepreneurs sous cinq principes :
« Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras »
C’est-à-dire de démarrer avec ce que l’on a. Et ce que l’on a au démarrage, c’est sa personnalité, sa connaissance (éducation, expérience, métier, savoir-faire, savoir être…) et son réseau. C’est-à-dire mettre en œuvre sa capacité à mobiliser autour de son projet ses ressources et celles de son réseau. C’est répondre à la question : « Qu’est-ce que je peux faire avec mes moyens ? »
« La perte acceptable »
L’objectif n’est pas de prendre tous les risques, mais d’estimer ce que l’on peut perdre en tentant. Par exemple, un entrepreneur qui se lance, peut accepter d’investir 40 k€ et 1 an de son temps pour lancer son activité. Ou pour une entreprise d’investir 1M€ et embaucher 5 ou 6 personnes pour tenter de faire décoller une activité.
« Patchwork fou »
C’est être dans une logique de co-construction. L’idée est d’agglomérer des personnes ressources dans le projet. On a une idée de base qui évolue en fonction des apports des personnes qui rejoignent le projet. L’entrepreneur fonctionne par association. Cela peut être aussi d’embarquer un client en l’associant. Ok pour modifier le produit, mais faisons un partenariat, engagez-vous sur un volume et avançons ensemble. C’est raisonner en termes de moyen. Que pouvons-nous faire de nouveau avec les moyens que nous avons ou que vous apportez ?
« Limonade »
C’est-à-dire tirez parti des surprises. Si on vous donne des citrons, vendez de la limonade. Ok pour avoir un business plan, mais voyons les imprévus comme des surprises et tirons en une opportunité. Ce qui fait écho au pivot dans le lean startup.
« Pilote dans l’avion »
Rien n’est inéluctable, rien n’est écrit. Vous pilotez. Le principe d’un projet innovant est qu’il n’y a pas encore de demande client. Il n’y a d’ailleurs pas forcément la grande idée géniale. Il y a des cas d’usages non couverts à trouver qui méritent qu’on y prête attention. L’entrepreneur ne peut pas prédire le futur, par contre, il peut agir sur son environnement et par ses actions influencer le marché. Avancer pas après pas avec un client et s’apercevoir que l’on est arrivé sur un nouveau marché.
Pour aller plus loin, je vous invite à lire la thèse de Saras Sarasvathy et de regarder les travaux de Philippe Silberzahn et Dominique Vian. Mais là, pour cet article, je vais me contenter d’apporter une réflexion plus globale sur les approches et les principes présentés.
Discussion sur ces approches.
Bien entendu, il existe d’autres approches que je n’aborderai pas ici. La première chose qui me parait important, c’est de ne pas les opposer. Elles répondent toutes à des besoins et problématiques bien spécifiques.
L’approche causale présente des intérêts comme celui vu par un investisseur. Ce dernier a besoin de comprendre comment l’entrepreneur va s’y prendre pour pénétrer son marché, de comprendre les hypothèses qui ont été posées et de se construire une représentation des étapes, ainsi que du cheminement de l’entrepreneur pour atteindre son objectif. Il doit pouvoir évaluer son niveau de risque, car s’il investit, c’est pour y gagner à terme. Les questions peuvent être : si j’investis 100 aujourd’hui, ai-je confiance dans les prévisions et hypothèses présentées ? Est-ce que cela tient la route et est crédible ? Est-ce que mon entrepreneur a une petite idée du coût de sa solution et de son seuil de rentabilité ? Au demeurant, cela reste un bon exercice pour chercher à avoir une première tentative d’exhaustivité et vérifier que l’on s’est posé les bonnes questions. Ensuite, dans ma vie professionnelle, j’ai assisté, voir animé beaucoup de réunions pour expliquer qu’on dérivait, mais que tout allait bien… C’est probablement là qu’il faut être un peu plus vigilant ! Le business model canvas est également un outil très intéressant. Finalement, je dirais que la causalité est une approche parfaitement adaptée quand on connait bien son marché, sa cible, son canal de distribution et que l’on a besoin de passer à l’échelle, de s’ouvrir à l’international, de développer ses parts de marché…
Si vous utilisez la méthode du Lean Startup. À ce moment précis, vous avez identifié un couplage produit/client et vous commencez à itérer avec lui dans une approche de co-construction. L’investissement initial est minimal, ce qui vous permet de définir et de tester rapidement le produit pour affiner ses spécifications. Revenir en arrière est cependant difficile. L’autre point clef réside également à mon sens dans la notion de MVP (Minimum viable product : prototype ou maquette très simple). Cela amène une question qui me semble centrale et qui nécessite de se poser une vraie question : « Je vais itérer mes MVP en partant d’un PowerPoint, jusqu’à un vrai produit. Pour chaque itération, quel niveau d’implication de mes prospects suis-je en mesure d’atteindre ? ». La démarche est très similaire à celle de la théorie de l’engagement utilisée en commerce. Vu d’un angle causal, votre Business plan, vos prévisions, ne tiendront que le temps de quelques itérations et pas à un pivot. Il est donc nécessaire d’avoir des indicateurs décisionnels très fins, compréhensibles par les parties prenantes. L’indicateur doit permettre de générer une décision/action, d’être explicite et crédible. Ces indicateurs doivent permettre de conforter très rapidement les hypothèses qui ont servi à construire le business plan initial.
Le design thinking est également très pertinent quand le besoin est vaste, complexe, mal défini et qu’il nécessite une approche pluridisciplinaire. Il répond aux impératifs suivants : comprendre ce qui est désirable pour le client. C’est-à-dire de se mettre à sa place pour comprendre ses besoins et réfléchir à plusieurs pour élaborer une solution faisable et économiquement viable. Il est, à mon sens, une version 2.0 des approches marketing intégrant les focus group (groupes de discussions d’utilisateurs ciblés) et benchmarking (analyse comparative d’autres solutions). Dans ce cas, on part de l’utilisateur et on va rechercher un couple produit/solution innovant. Vous comprendrez aisément les limites de la démarche dans le cas d’une innovation technologique. Dans ce cas, l’idée innovante ne vient pas de l’utilisateur. Il y a donc nécessité de faire émerger des cas d’usage et un besoin avant toute chose.
L’effectuation, comme nous l’avons vu précédemment, n’est pas une méthode, mais un ensemble de principes. C’est à mon sens plus un état d’esprit. Il se combine donc très bien avec d’autres méthodes. Il fonctionne très bien pour le développement de nouveau marché, car il se focalise sur la relation entre les parties prenantes. Très à l’écoute, très opportuniste. Par exemple, vous n’avez pas besoin d’avoir une idée géniale, vous avez une direction qui va évoluer en fonction des rencontres, apports et partenariats. Cela rejoint sur différents aspects l’Appreciative Inquiry (L’AI est une méthodologie destinée à engager des parties prenantes dans un mouvement autodéterminé). C’est-à-dire que vous allez exploiter vos forces, celles de votre réseau, créer des alliances, co-construire ensemble quelque chose de plus grand que vous n’aviez probablement pas envisagé initialement. Il vous ouvre à la surprise de la découverte d’opportunités. Le risque étant de partir un peu dans tous les sens au grès du vent, si vous perdez de vue que la finalité est de répondre à un besoin client identifié et viable et donc de générer une activité économique rentable. N’oubliez pas qu’on doit avoir un pilote dans l’avion.