Labs d’innovation collaborative : diffuser les pratiques pour transformer l’organisation par C Defay
Au cours de la dernière décennie, j’ai été amené à déployer et accompagner de nombreux labs d’innovation collaborative ou « collaboration zones ». Il s’agit de ces espaces au sein des organisations, dédiés à l’expérimentation de nouvelles manières de faire, résolument axées sur l’intelligence collective et la collaboration entre acteurs de différentes entités. Ces dispositifs se sont en effet beaucoup développés ces dernières années, parfois comme des expérimentations éphémères, tandis que d’autres perdurent depuis plus de dix ans. Tous les labs sur lesquels je suis intervenu en tant que Designer collaboratif ont leurs spécificités, mais tous ont vocation à transformer l’organisation au sein de laquelle ils opèrent, en diffusant de nouvelles approches et pratiques à l’ensemble des acteurs. Cet enjeu de diffusion et de transformation par capillarité est essentiel, or il est souvent difficilement atteint. Ils restent un endroit exceptionnel, où les choses se font différemment et où l’on vient le temps d’un atelier collaboratif puis chacun retourne dans le fameux « Business as Usual ».
Comment faire pour que ces labs ne soient pas une simple vitrine ? Cela nécessite un travail continu, qui requiert de l’attention à toutes les étapes du cycle de vie du dispositif. Je vais parler dans les lignes qui suivent de Labs positionnés de manière transverse, mais cela s’applique de la même manière pour des Labs dédiés à des programmes.
Au démarrage : en tant qu’expert en démarches collaboratives, j’ai à plusieurs reprises été le « premier de cordée » pour la mise en place de Labs. J’ai travaillé avec les clients pour poser les fondamentaux de ce type de dispositif, qui vont bien au-delà de l’espace physique : constitution de l’équipe interne, identification du sponsorship stratégique et opérationnel, gouvernance et comitologie, émergence et sélection des premiers sujets, boucle de feedback et d’amélioration continue, etc. Parmi toutes ces activités cruciales dans les premières semaines de la vie d’un Lab, cette dimension de diffusion est rarement une priorité : il s’agit en général de commencer par faire la démonstration de l’efficacité du Lab. Cependant, dans l’exploration des premiers sujets qui peuvent être traités par le Lab , je porte une attention particulière à « toucher » un maximum d’entités de l’organisation. La tentation pourrait être grande de privilégier les clients de la première heure, ou « early adopters », qui ont recours aux capacités du Lab dès que ses portes sont ouvertes, et qui y reviennent régulièrement. Ils garantissent une activité récurrente pour le dispositif en place, mais si l’on n’y prend garde on se retrouve vite à ne toucher qu’une partie des acteurs de l’organisation. Une bonne pratique est de tracer les collaborateurs qui sont impliqués dans des sujets hébergés par le Lab, et d’identifier les territoires non encore explorés. Cette information est d’ailleurs un bon élément à afficher de manière visuelle dans l’espace d’accueil du Lab ! Au-delà des personnes, il est également important d’identifier les enjeux globaux concernés par les sujets qui passent par le Lab, et de combler d’éventuels « trous dans la raquette ».
Une attention dans la durée : Après cette première période de lancement vient le « run », qui suit plusieurs phases comme l’a décrit Philippe Coullomb dans cet article sur le cycle de vie des Labs . Si vous, en tant que membre du dispositif de pilotage du Lab, avez mis en place le suivi des sujets et des collaborateurs qui sont passés par le Lab, vous avez probablement mis en place des routines pour aller chercher les sujets sur des axes stratégiques de l’organisation peu couverts. L’activité du Lab suit son rythme, le collaboratif s’y exprime et les sujets s’enchaînent de manière satisfaisante. Mais quid du reste de l’organisation ? Trop souvent, ces lieux, bien qu’ouverts et accueillants, sont vus comme un « endroit spécial » : même distribué comme c’est le cas dans certaines entreprises, les labs collaboratifs sont souvent perçus, par les acteurs qui y viennent le temps d’un atelier, comme un lieu où les choses se passent différemment, et donc ne sont pas réplicables. Ils peinent à diffuser les principes mis en œuvre en leur sein. Cela ne marche que parce que les conditions y sont réunies, à la fois en termes de compétences avec des facilitateurs expérimentés, et de logistique. Mais ce serait comme dire que les parcs d’attraction sont les seuls endroits où l’on peut rêver et s’amuser avec ses enfants. C’est un peu réducteur, non ? De même que l’on n’a pas besoin construire un grand huit dans son jardin pour divertir nos chères têtes blondes, il n’est pas besoin de créer des espaces au sein de chaque entité pour diffuser les pratiques collaboratives. Le dispositif du Lab doit accompagner les acteurs qui viennent recourir à ses services in situ pour leur permettre de mettre en œuvre des pratiques collaboratives sur leur lieu de travail habituel. C’est là un point essentiel : trop souvent le Lab passe au projet suivant et enchaîne les ateliers à un rythme soutenu, sans tenir compte du suivi dans la durée des projets. Il ne s’agit pas de se substituer au management de projet, mais de garantir que ce qui a germé en termes de pratiques différentes continue à être arrosé, en contactant les sponsors régulièrement et en les accompagnant sur leur montée en autonomie. Le temps mobilisé par les ressources du Lab devrait y consacrer une part non négligeable, qui va aller decrescendo à mesure que les pratiques collaboratives s’ancrent dans le quotidien des projets, car les bénéfices en sont grandement décuplés pour l’organisation.
Ancrer dans le temps par la multiplication des ambassadeurs : enfin, et c’est en lien avec le point ci dessus, la diffusion des pratiques passe par les acteurs avant tout. Un enjeu fort pour les Labs sur lesquels je suis intervenu est de pouvoir intégrer pour une période donnée des ressources internes afin de leur permettre d’acquérir les compétences de design collaboratif. Ces ressources participent au fonctionnement du Lab, découvrent de nouvelles façons de travailler ou renforcent des compétences existantes, mais surtout vivent l’expérience de la transformation de l’intérieur. Après quelques mois, ils retournent dans leur entité d’origine et incarnent le changement souhaité par de nouvelles approches. Cependant il arrive souvent que le recrutement de collaborateurs se heurte à plusieurs difficultés. La première est liée à la particularité des compétences mises en œuvre : cela peut signifier un changement de poste assez radical pour celles et ceux qui rejoindraient le dispositif du Lab. Une autre difficulté, qui vient renforcer la précédente concerne le retour souvent difficile dans leur entité d’origine après quelques mois car « ils ont changé ». Or c’est exactement le but, me direz-vous ! En effet, mais ces acteurs, hérauts du changement et porteurs de la transformation souhaitées, sont alors perçus par leurs anciens collègues comme des « corps étrangers », et cela active en quelque sorte les systèmes de défense de l’organisme d’origine. S’ils ne sont pas correctement accompagnés, la sortie du Lab peut être pour eux un moment difficile. Ils peuvent alors ressentir une forme de « gueule de bois » après avoir vécu des démarches différentes, et ont le sentiment de prêcher dans un désert d’incompréhension. Ce danger peut s’il n’est pas anticipé tuer dans l’œuf les démarches de transformations qui s’appuient sur des labs d’innovation collaborative. Pour prévenir ce risque, il est nécessaire de travailler à trois niveaux :
- En amont, avoir un échange avec les responsables de l’entité pour s’assurer que le passage au sein d’un Lab est une opportunité pour le collaborateur mais aussi pour l’entité elle-même,
- Assurer une montée en compétences pour les collaborateurs sur ces nouvelles pratiques, ainsi qu’un accompagnement dans la durée de type mentorat,
- Enfin et surtout accompagner étroitement le retour du collaborateur après quelques mois passés dans le lab par des échanges réguliers pour partager sur les éventuelles difficultés rencontrées et imaginer des solutions. Des exemples réussis ont démontré qu’alors la transformation et le changement s’en retrouve renforcés voire démultipliés.
La diffusion des pratiques collaboratives mises en œuvre dans les Labs est donc un axe qui nécessite attention et discernement, ainsi qu’un accompagnement qui va bien au-delà des frontières du lieu physique. Mais lorsque cela est correctement adressé, on constate souvent une transformation de l’organisation à des niveaux profonds et pérennes, qui justifient les efforts employés.
Sources : https://www.linkedin.com/pulse/labs-dinnovation-collaborative-diffuser-les-pratiques-cedric-defay/