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Comment faire fonctionner l’intelligence collective quand les collaborateurs sont à distance par L Jouhier

J’ai eu récemment des échanges avec plusieurs directeurs qui m’ont fait part de leur expérience du management d’équipes projet avec des collaborateurs situés à distance dans un contexte international.

Travailler à distance : un plaisir

Tous les dirigeants interviewés ont mis en avant le plaisir qu’ils ont éprouvé à travailler dans des projets avec un contexte spécifique d’éloignement. Je cite Arnault Billy DG de Docavenue, filiale Télémédecine et prise de rendez-vous en ligne du groupe Cegedim : « J’ai adoré. Quel plaisir de travailler avec des personnes de multiples pays. Quel plaisir aussi de réussir à faire fonctionner les gens ensemble, à découvrir et interpréter les codes culturels »

Et ce plaisir a bien souvent été une surprise. En effet, a priori la distance pèse sur trois des principales conditions de réussite d’un projet :

·       La vision et l’alignement : la distance rend plus difficile de recadrer / repréciser / expliquer / ré expliquer

·       La créativité : les rencontres moins fréquentes réduiraient la créativité collective

·       La cohésion : du fait de la distance, et des incompréhensions qu’elle peut induire, les tensions apparaîtraient plus vite, et seraient plus difficile à gérer (l’éternel problème de la discussion par mail qui part en vrille)

Comme me disait l’un des directeurs de projet : « le souci avec la distance, c’est qu’une incompréhension peut vite dégénérer ». Pour autant, les résultats atteints ont été largement à la hauteur, voire au-delà de ce qui était escompté : des équipes plutôt alignées, créatives et soudées.

Pourquoi travailler à distance peut-être une force pour la réussite d’un projet ?

Je vois une première explication à ces phénomènes contre-intuitifs : en contexte d’éloignement, le chef de projet anticipe les difficultés. Il met toutes les chances de son côté et adopte les comportements pertinents : davantage de communication, de reformulations, plus d’attention à la source de la motivation de chacun des participants. Le chef de projet a conscience que le collectif est fragilisé par la distance et que sa contribution d’orchestrateur est déterminante … On serait donc meilleur chef de projet quand on sait que les ressources sont à distance physique et culturelle.

« A distance on se rend plus compte que l’on a affaire à des humains, il faut être très disponible » me disait Eric Borderie (IT Directeur du programme Big Data B2B de Orange). Ne pas avoir les équipes « à portée de main » forcerait donc à davantage de considération, à une relation chef de projet/contributeur plus respecteuse et attentive à chacune des personnes constitutives du groupe.

Le plaisir du travail en projet à distance serait aussi partagé par l’ensemble des acteurs : les équipes parviennent en fait à partager des expériences, à vivre des moments forts à travailler ensemble, sans même jamais se rencontrer. La voix suffit pour se reconnaître, communiquer et véhiculer des émotions.

Un chef de projet avec qui je travaille chez Bolloré me disait aussi : « le projet à distance est l’occasion pour les participants de se montrer sous un jour nouveau et meilleur. Ils sont débarrassés des a priori que leur prêtent leurs voisins de bureau quotidiens »

Pour ce qui et de la créativité, on est à l’opposé du cadre du Design Thinking qui prône dans sa phase « idéation » un regroupement des ressources sous un même toit et de façon temporellement rapprochée. Et pourtant les résultats sont excellents. Pourquoi ?

A en croire Jonah Lehrer, auteur de « Imagine : How creativity works » (2012), c’est parce que le groupe distant dispose de deux armes : le « mijotage » des idées entre les réunions et les ateliers (c’est une créativité au long cours) et le « croisement conceptuel » lié au nombre et à la variété des participants (les membres de l’équipe projet ont l’occasion ensuite de parler à d’autres collaborateurs de leurs questionnements et de revenir vers le groupe avec les idées des autres).

Une étude récente a montré que le fait de devoir s’exprimer en anglais (quand il ne s’agit pas de sa langue maternelle) améliorerait la qualité et la clarté de nos propos. Pour ceux qui ont lu « Système 1 et système 2 » de D. Kahneman, cela n’a rien de surprenant. Quand on parle en langue non native, c’est notre hémisphère gauche (le « système 2 », celui en charge des activités cognitives) qui est à l’œuvre: il réfléchit mieux !

Comment stimuler l’intelligence collective dans un projet à distance ?

In fine, pour stimuler l’intelligence collective et réussir au mieux les projets à distance, voici les préconisations qui ressortent de mes échanges et réflexions personnelles :

  • Investir sur l’initialisation du projet : le lancement est une étape déterminante. Commencez toujours les projets distants par un grand séminaire de deux jours dans lequel l’équipe va partager ses attentes, définir un objectif commun et le plan projet associé. Dans ces séminaires, n’hésitez pas à poser directement la question du sens : pourquoi fait-on ce projet ? Les frais de déplacement seront largement compensés par le résultat ! Il est indispensable que TOUT le monde soit présent à ce séminaire de lancement. L’expérience a montré, à moi-même et à d’autres, qu’un acteur absent au départ, ne sera jamais aussi présent et aligné que les autres.
  • Ménager des épreuves : pour souder le collectif, il est important d’imposer au groupe une épreuve environ tous les trois / six mois (un test, une expérimentation, un soft launch, une présentation à des institutionnels, un livrable clé …). Il faut remplacer la proximité (qui permet de partager tout très vite, ce qui est une garantie forte de l’agilité) par des points de passage audacieux qui vont écrire une histoire et tirer le groupe vers le haut.
  • La responsabilisation : Il faut opter pour un management très responsabilisant de l’équipe. La responsabilisation semble être le seul mode de management possible des équipes à distance. Pour autant, la réunion hebdomadaire de suivi est aussi indispensable. Dans ces réunions il faut veiller à l’équité du temps de parole, ce qui revient à forcer la prise de parole chez certains acteurs …
  • Pour communiquer, le téléphone, skype ou tout ce qui permet d’entendre la voix de l’autre constitue le meilleur « réseau social » entre les personnes. La voix en dit beaucoup sur les intentions et l’état d’esprit de chacun. A cela, et cela m’a été chaudement recommandé par deux personnes que j’ai interviewé, il ne faut pas hésiter à utiliser la visio conférence, « dont l’usage change totalement et de façon très positive la conduite de réunions et de projets. S’il est possible de participer avec une oreille distraite à une conférence téléphonique, cela n’est presque plus possible avec la visio conférence. L’efficacité des réunions est alors augmentée. Mais en plus, la visio conférence permet de détendre l’atmosphère et aide à mieux se connaître. De plus en plus de personnes sont présentes en réunion en visio depuis chez soi, ce qui créée une proximité. Et si on se trouve dans un lieu non courant, cela fait un petit sujet d’échange » me disait L. Giraud, VP Marketing Europe at Orange
  • Enfin, et ceci vaut pour tous les projets, distants ou non : la valorisation des équipes : il est essentiel de remercier systématiquement et de le faire également devant leur hiérarchie ou leur groupe de référence.

Loïc Jouhier

Remerciements :

Un grand merci aux professionnels qui nous ont apporté leur expérience et leur point de vue, ainsi que leur temps précieux : Laurent Michel, Laurent Giraud, Eric Borderie, Thomas Darbois, Philippe de Poulpiquet, Ann-Kristin Benthien, Arnault Billy, Stéphane Martayan et Pierre Wansek

Source : https://www.linkedin.com/pulse/comment-faire-fonctionner-lintelligence-collective-quand-lo%25C3%25AFc-jouhier/