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Stop à la fuite des talents ! par JM Philippon

Un talent en entreprise apporte une véritable création de valeur supplémentaire pour l’ensemble de l’organisation. Ses compétences se distinguent par leur efficacité et en même temps par leur facilité de mise en œuvre. L’entreprise actuelle demande à la fois de nouveaux savoir-faire mais aussi et surtout de nouveaux savoir-être. Les interactions entre les acteurs étant essentielles pour le développement de l’entreprise, ses capacités relationnelles sont un de ses principaux points forts.

Si l’entreprise d’aujourd’hui a besoin de talents, pour grandir, innover et durer, la personne douée de talents a également des besoins propres que l’entreprise doit connaître et nourrir, si elle souhaite la garder et ne pas la voir partir chez son concurrent.

La fuite des talents d’une entreprise, d’une organisation ou d’un pays est un problème majeur pour la pérennité des écosystèmes dans lesquels ils opèrent. Analyser les raisons de cette fuite et mettre en place des dispositions nécessaires à sa réduction est devenu un des principaux axes de réflexion des Directions.

Les mesures prises, ici et là, semblent inefficaces sur la durée et ne traitent que le problème en surface. Les services RH des grandes entreprises mettent en place au sein de leur GPEC (Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences) une partie liée à l’aspect stratégie que l’on appelle la gestion des talents ou le Talent Management. Une enquête du cabinet Accenture avait révélé qu’une mauvaise gestion des talents était le deuxième frein à la performance des entreprises après la concurrence.

Perdre un talent, c’est donner un atout à son concurrent

Gérer de façon optimale les talents, donne à l’entreprise un double avantage concurrentiel. En effet, quand un talent quitte une entreprise, cette dernière perd une création de valeur importante, et il y a de grands risques que ce soit son concurrent qui la recrute. Le décalage de valeur est de fait doublé. Perdre un talent c’est donner un atout à son adversaire. C’est cette dernière donnée qui instaure aujourd’hui ce que l’on appelle la guerre des talents.

Cette guerre des talents, et donc l’efficacité pour une entreprise à les recruter et surtout à les fidéliser, n’est pas perçue de la même manière que l’on soit coté RH ou salarié. En effet une étude de l’institut NGA a montré que 60% des directions estimaient satisfaisante leur gestion des talents, alors que du coté salariés elle était estimée mauvaise par 68%.

Les questions pertinentes à se poser sont les suivantes :

  • Si la fuite des talents n’était que l’arbre qui cache la forêt d’un désengagement au travail plus profond ?
  • Et si les talents n’étaient simplement que des individus pouvant fuir plus facilement un système d’organisation et de management qui ne convient plus à personne ?
  • Et si la fuite des talents, obligeait l’entreprise à revoir l’ensemble de son management pour remettre le cœur de chacun à l’ouvrage ?
  • Si ni les primes ni le babyfoot ont réussi à enrayer la fuite des talents, les solutions sont certainement ailleurs.

Il est temps de mettre en action les concepts d’autonomie, d’engagement et de contribution. Il est temps de rendre concret dans le quotidien du travail des notions comme la confiance, la fierté, le plaisir et la vision.

Il est temps aussi de regarder et de partager les actions possibles en entreprise pour que chaque acteur puisse devenir un réel contributeur à la réussite collective, grâce justement à un espace d’expression de ses propres talents.

Qu’est-ce qu’un talent en entreprise ?

La personne douée de talents dans l’entreprise n’est pas facilement et rapidement détectable, car l’exercice de ses talents n’est pas toujours visible aux yeux de ceux qui ont la charge d’en prendre soin. Parfois ce n’est qu’à son départ que l’on mesure qu’elles étaient ses réelles plus-values. La personne douée de talents en entreprise apporte donc une réelle création de valeur supplémentaire à sa mission, et ce sont souvent les personnes en interactions directes avec elle qui peuvent la détecter et en mesurer la réelle création de valeur.

Le talent est souvent reconnu quand il n’est plus là.

Quelles différences avec les compétences ?

La différence entre talents et compétences est relativement facile à décrire. Les compétences : ce sont les caractéristiques et les qualités d’une personne qui lui permettent de répondre de la meilleure façon aux attendus de sa mission. De façon très synthétique, une personne compétente est une personne qui rentre de façon optimale dans la case demandée.

Les talents d’une personne sont des caractéristiques propres et des qualités particulières qui lui permettent de répondre à la mission au-delà des attendus, pas seulement en termes de dépassement des objectifs, mais principalement en termes de « manière » de les atteindre. Une personne talentueuse est une personne qui va se différencier des autres et agir de manière singulière.

Chez un talent, cette manière singulière d’agir n’a pas une cause égocentrique ou narcissique mais une cause passionnelle. C’est la passion qui met en mouvement les talents. Les talents, qu’ils soient acquis ou innés naissent dans le cœur et l’esprit de la personne qui les détient. Mais pour que les talents puissent vivre pleinement, ils doivent pouvoir s’exprimer dans un écosystème favorable. C’est cet écosystème favorable à l’expression des talents que les entreprises doivent construire, pour ne pas devenir ce que j’appelle des entreprises talents-tueuses.

Les entreprises ne doivent pas devenir des entreprises talents-tueuses

Afin de nourrir les talents en son sein, l’entreprise doit permettre, par son organisation et par son management, l’expression de la passion. Cette expression de la passion dans le travail, passe par des notions trop souvent oubliées comme le plaisir, la fierté et le partage. Nous retrouvons ici la notion de « flow » développée par le psychologue hongrois Mihaly Csikszentmihalyi, qui, dans des conditions favorables, place une personne dans un état particulier où les émotions se trouvent en parfaite harmonie avec les compétences pour exécuter une tâche avec plaisir et performance.

Une entreprise qui souhaite conserver ses talents devra mettre en œuvre ces fameuses « conditions favorables » pour que l’état de « flow » puisse se réaliser.

Comment créer des conditions favorables ?

Les conditions favorables à l’expression des talents en entreprise, sont les conditions spécifiques d’organisations et de management que l’entreprise va mettre en œuvre afin de répondre à la satisfaction des besoins propres de chaque talent. Pour cela je vous propose de répartir les talents en 4 grandes typologies, qui sont l’expert, le facilitateur, l’innovateur et le compétiteur.

L’EXPERT 

Ses caractéristiques :

L’expert en entreprise c’est la personne qui fait preuve d’excellence dans l’opérationnel du métier ou de la mission. C’est un artiste du savoir faire qui possède à la fois des connaissances techniques élevées mais aussi une capacité hors du commun à les appliquer de façon juste, pertinente et performante. L’expert possède un tour de main qui le différencie des autres acteurs et qui font de lui une personne clé sur les problèmes techniques.

Ses besoins :

Pour exprimer son talent et donc son expertise, l’expert possède deux besoins essentiels, celui d’avoir des objectifs précis et celui d’avoir à sa disposition tous les moyens qu’il estime nécessaires.

Les réponses de l’entreprise :

L’entreprise devra donc répondre à ces deux besoins de l’expert, en étant vigilante sur la clarté des objectifs qui lui sont demandés et sur sa capacité à lui mettre à disposition les moyens qu’il demande. Pour cela les objectifs devront être construits en concertation avec l’expert, pour qu’il puisse réellement se les approprier. L’expert connait son potentiel et il connait également ses capacités à aller au-delà. Il est donc impératif qu’il ait la possibilité de relever des défis à la hauteur de son expertise. Concernant les moyens nécessaires pour relever ces défis, il devra avoir un maximum de liberté décisionnelle sur leurs caractéristiques et leurs niveaux. Concernant le management, une grande autonomie sera indispensable à l’expert dans un cadre plus tourné vers la confiance que vers le contrôle.

Le FACILITATEUR

Ses caractéristiques :

Le facilitateur en entreprise se distingue par sa capacité à prendre du recul vis-à-vis de l’opérationnel et du quotidien pour en dégager l’essentiel et remettre de la hauteur, de la fluidité et du sens. Il possède également des grandes qualités de cohésions des équipes en étant un acteur clé de la régulation des tensions et des conflits relationnels. Le facilitateur est un virtuose du consensus et de la négociation des situations délicates. Il possède en plus une grande capacité à faire émerger l’intelligence collective au sein d’un groupe.

Ses besoins :

Les besoins du facilitateur sont principalement au nombre de deux. Le premier est celui d’être dans un écosystème porteur de valeurs fortes sur lesquelles il pourra s’appuyer et mettre en œuvre son talent. Le deuxième est le fort besoin d’appartenance, c’est-à-dire celui d’être en lien avec les autres acteurs et d’être aussi le créateur de ces liens. Le facilitateur redoute l’isolement et le manque d’exemplarité des instances dirigeantes.

Les réponses de l’entreprise :

Pour faire monter en puissance un facilitateur et le garder, l’entreprise devra l’impliquer dans la co-construction des valeurs de l’entreprise ainsi que sur l’ensemble des moyens pour les faire vivre au quotidien. Elle devra veiller à le responsabiliser sur les processus d’actions collectives, qu’elles soient formelles ou informelles. Dans son organisation, l’entreprise positionnera le facilitateur aux croisements de divers activités, le mettant au contact d’un maximum de personnes et de groupes. Dans son management, l’entreprise donnera carte blanche au facilitateur pour appliquer ses propres méthodes de régulation. Enfin elle devra l’impliquer le plus possible dans toutes les conduites du changement ainsi que dans l’organisation des événements de cohésion et de célébration.

L’INNOVATEUR 

Ses caractéristiques :

L’innovateur en entreprise est une personne ouverte et curieuse qui cherche régulièrement de nouveaux moyens ou de nouvelles méthodologies dans de nombreux domaines. C’est une personne qui aime le changement et l’agilité. Il aime posséder une zone d’autonomie pour agir et tester, et n’est pas très à l’aise dans le collectif. Il apprécie d’avoir régulièrement des nouveaux défis. C’est un artiste pour penser « out of the box » et faire sortir son écosystème de sa zone de routine. C’est un excellent élément pour les services recherche et développement ainsi que pour les projets en mode « start-up ».

Ses besoins :

L’innovateur a besoin de nourrir sa curiosité et donc d’accéder au maximum d’informations tant sur son entreprise que sur son marché. L’innovateur a besoin de « data ». Pour exercer son talent il a besoin de pouvoir tester sans crainte de l’échec. Le « test and learn » le fait vivre, la routine le fait mourir. Il a donc un grand besoin de liberté, d’autonomie et surtout de confiance.

Les réponses de l’entreprise :

Pour un innovateur, l’entreprise doit répondre à ses besoins par de la confiance qu’elle va lui accorder en lui transmettant toute l’information nécessaire et en lui octroyant un cadre de sécurité. Le droit à l’erreur est donc fondamental pour l’innovateur afin que son stress de faire une erreur ne le contraigne à faire, non pas ce qu’il voudrait, mais seulement ce qu’il peut. Au niveau de son organisation l’entreprise devra être dans un modèle où tout ce qui n’est pas interdit est autorisé. Au niveau du management l’entreprise devra être dans la subsidiarité et l’autonomie.

Le COMPETITEUR 

Ses caractéristiques :

Dans une entreprise, le compétiteur est celui qui se bat continuellement pour toujours faire mieux. Il se bat en interne pour atteindre coûte que coûte les objectifs et défendre les intérêts de son entreprise ou de son équipe. Il se bat aussi contre la concurrence en trouvant l’énergie pour la dépasser et révéler ses faiblesses. Le compétiteur se nourrit plus de challenges et de défis que d’objectifs à atteindre. Pour le compétiteur on peut toujours faire mieux et plus vite. Son énergie est forte et nécessite d’être canalisée. Le compétiteur est l’homme de la situation dans des périodes de compétitivité intense et de besoin de progression.

Ses besoins :

Le compétiteur possède deux besoins principaux. Tout d’abord celui d’avoir des responsabilités. Comme sa zone de confort est d’être dans les premières lignes, le compétiteur apprécie les prises de risques assumées et affichées par les responsabilités qui lui sont confiées. Il a besoin d’un statut et d’une posture pour partir devant. Ensuite il a un besoin fort de reconnaissance. Il se bat pour gagner et la réussite le fait grandir à partir du moment où il en est reconnu comme l’architecte. Par son dynamisme il transmet de l’énergie aux autres acteurs. Mais à vouloir être toujours dans la compétition, il peut épuiser ses collègues, et son principal risque est alors de rentrer dans une compétition en interne dans sa propre entreprise.

Les réponses de l’entreprise :

Pour garder et surtout canaliser un compétiteur, l’entreprise doit continuellement lui confier des batailles à gagner et des défis à relever. Elle doit savoir reconnaitre les réussites du compétiteur et inscrire ses victoires dans la stratégie de l’entreprise. Enfin elle doit veiller à canaliser le plus souvent possible cette énergie de combattant vers des réussites collectives pour ne pas le transformer en superman jalousé et rejeté.

Et pour tous les autres :

Conserver les talents, c’est aussi pour l’entreprise savoir adopter une organisation et un management qui permettent l’engagement durable de tous les acteurs et pourquoi pas de permettre en même temps que certains talents puissent s’y révéler. Je vous propose donc une liste non exhaustive de leviers permettant à la fois de conserver les talents tout en favorisant aussi le réengagement de tous les acteurs dans l’entreprise.

Voici 5 leviers que toute entreprise devrait activer pour fidéliser ses talents et augmenter le niveau d’engagement de tous.

•      Une Attention particulière

Chaque acteur de l’entreprise, et bien entendu spécialement ceux disposant de talents ont le profond besoin de recevoir de l’entreprise une attention particulière à leurs propres besoins. Dans l’entreprise du futur qui se veut « maternante » monsieur « tout le monde » n’existe plus. L’entreprise doit par son organisation et son management mettre en place une politique de reconnaissance individuelle. Elle doit également veiller à offrir à ses nouveaux entrants un parcours d’intégration de qualité, accompagné si possible d’un rapport d’étonnement. L’entreprise doit régulièrement s’assurer du bon développement professionnel de chacun par un parcours de formations choisies et quand cela est nécessaire par un accompagnement en coaching. Bien entendu l’attention particulière porte également sur la politique de rémunération et des avantages attachés ainsi qu’à un plan de carrière spécifique. L’entreprise doit veiller à mettre en oeuvre toutes les actions favorisant l’équilibre de vie personnelle et professionnelle de tous.

•      Une Autonomie équilibrée

Les talents, comme l’ensemble des salariés ont aujourd’hui le profond besoin d’avoir une zone d’autonomie équilibrée, c’est-à-dire de pouvoir répartir leur activité entre des moments de dépendance, d’indépendance et d’interdépendance. Ils doivent aussi avoir la liberté d’exprimer leurs feedbacks vis-à-vis de l’organisation et de son management, comme ils doivent également pouvoir recevoir et s’enrichir de feedbacks. Ils doivent aussi avoir la liberté d’être force de proposition et agent du progrès collectif. Le télétravail et l’intrapreneuriat sont des axes importants que l’entreprise doit favoriser.

•      Une Confiance mutuelle

La fidélisation des talents et des salariés repose sur un socle essentiel en entreprise qui est celui de la confiance mutuelle. Chacun doit avoir une confiance inconditionnelle envers l’autre. L’exemplarité des instances dirigeantes n’est pas une option mais une obligation. Cette confiance se traduit par les valeurs portées et vécues au quotidien, et par une vision claire, ambitieuse et partagée. La confiance doit aussi investir les informations par un levier de transparence et de sincérité. Enfin l’entreprise doit instaurer un droit à l’erreur qui donnera à chacun la liberté d’innover et de créer

•      Un espace de contribution

Les talents, comme l’ensemble des salariés ont un besoin d’être, non plus des exécutants mais des contributeurs à l’œuvre collective. L’entreprise doit mettre en place une politique organisationnelle et managériale reposant sur la subsidiarité, donnant à ceux qui sont au plus près de l’action, une liberté décisionnelle dans leur zone d’intervention. L’entreprise doit également promouvoir un esprit de progrès et instaurer des processus d’amélioration continue.

•      Un partage de la réussite

Tout acteur de l’entreprise a besoin de partager les réussites avec les autres acteurs. Ce partage des réussites, active la partie affective du plaisir et de la fierté, deux notions essentielles dans le bien être au travail et dans le niveau d’engagement et de fidélisation.

La performance de l’entreprise de demain passe par la performance des hommes et des femmes qui doivent devenir de véritables contributeurs de la réussite collective. Sa performance passe aussi par l’engagement de tous ses acteurs, l’émergence de talents en son sein et leur fidélisation.

Les entreprises de demain auront toutes les mêmes robots, mais les plus performantes auront les meilleurs talents.

Jean-Michel PHILIPPON Co-fondateur du Club du Leadership

Source : https://www.linkedin.com/pulse/stop-%C3%A0-la-fuite-des-talents-jean-michel-philippon/