Open innovation : état des lieux et perspectives pour nos territoires par R Crozier

Entre coup de com’, formule incantatoire pour certains et promesse du renouveau pour d’autres, l’open innovation reste, plus de 10 ans après l’invention du concept par l’universitaire américain Henry Chesbrough, une notion complexe et controversée. De quoi parle-t-on ?

Qu’est-ce que l’open innovation ?

L’open innovation désigne le processus par lequel l’entreprise stimule son potentiel d’innovation et de R&D autour de nouveaux produits ou services par la mise en œuvre de projets collaboratifs avec d’autres entreprises – généralement des startups – mais également des centres de recherche, experts extérieurs et même des membres de la société civile.

L’open innovation, c’est donc le contrepoint d’un système d’idéation et de production verticale de l’innovation, réalisé de manière hermétique aux contributions directes d’entités extérieures à l’entreprise. Système ayant caractérisé pendant longtemps notre façon d’innover – on pense au modèle des « laboratoires-forteresses » des grandes multinationales pharmaceutiques hérité des années 1960.

La logique renversée est celle d’une innovation horizontale, basée sur le partage d’informations, de travaux de recherche et d’une stimulation croisée entre différents agents économiques dans le cadre d’un contrat satisfaisant (idéalement) les deux parties. Ce modèle d’innovation change l’entreprise en profondeur faisant apparaitre de nouveaux métiers et directions liées à la gestion de ces collaborations.

Pour le développeur économique, l’open innovation doit également être comprise comme, à terme, un changement de paradigme organisationnel et stratégique de l’entreprise devant être mis au service de la croissance du système économique local, qu’il s’agit d’accompagner et de faciliter.

De fait, l’open innovation est indissociable d’une logique d’écosystème et de proximité géographique. A travers cette démarche, les entreprises construisent des réseaux avec d’autres agents économiques et acteurs de la recherche, le plus souvent situés dans un territoire commun et autour d’espaces partagés : incubateurs, accélérateurs, living labs, plateformes d’innovation collaborative, pôles de compétitivité, clusters … L’open innovation se traduit ainsi par un ancrage territorial fort de la valeur créée, ainsi qu’un effet de levier sur le tissu économique local (grandes entreprises, ETI, PME innovantes et startups).

Quels sont les défis actuels du déploiement de l’open innovation dans les entreprises ?

Selon nombre d’experts et « gourous » de l’innovation, l’innovation ouverte est amenée à prospérer, voire à s’effacer devant un modèle plus global d’entreprise ouverte.

Ainsi, la collaboration ne s’exprimera pas simplement à travers des lieux de partage mais se reflètera dans l’organigramme même de l’entreprise, avec un brouillage progressif des frontières interne / externe, le développement d’équipes éphémères, etc. « Ce sera la norme. D’ici 2030, ces termes [l’open innovation, l’innovation collaborative, etc.] disparaitront progressivement et les entreprises qui survivront seront celles qui sauront travailler efficacement avec les startups », annonçait récemment Richard Biquillon, co-fondateur et CEO de l’entreprise Yoomap, dans une interview à Maddyness[1].

Grands groupes et startups : un meilleur équilibre à trouver

Reste que, à l’heure actuelle, l’open innovation se heurte à de nombreuses difficultés et défis « sur le terrain ». Le baromètre de la relation Grand groupes / startups 2017 publié par le cabinet Bluenove et VillagebyCA montrait par exemple les limites des initiatives actuelles dans le cadre des incubateurs « corporate » :

  • Les conflits de culture liées aux méthodes de travail, qu’il s’agisse des différences qui séparent les startups des grandes entreprises, ou bien la R&D des laboratoires et instituts à la recherche appliquée des entreprises ;
  • Un positionnement parfois opportuniste des entreprises vis-à-vis des startups, où la collaboration s’inscrit souvent en-dehors d’un cadre stratégique défini ou d’une logique business : près de 44% des startups interrogées déclarent que les objectifs de la collaboration avec un grand groupe sont peu ou pas du tout clairs ;
  • Une asymétrie en terme d’implication et de pouvoir de négociation: près de 50% des startups interrogées perçoivent un déséquilibre dans la relation avec leur grand groupe partenaire.

PME et ETI : les signes d’une ouverture progressive à l’open innovation

Un autre enjeu et défi pour le déploiement de l’open innovation concerne son adoption par les ETI et PME, encore limité à ce stade. Ces entreprises peuvent faire face à de nombreuses barrières opérationnelles à la collaboration ouverte, telles que :

  • le manque de temps pour gérer les réseaux et collaborations ;
  • la capacité limitée pour gérer la propriété intellectuelle dans le cadre de co-développements ;
  • le manque de financements en quantité suffisante ;

Toutefois, les signaux faibles indiquant une porosité croissante des PME et ETI à l’open innovation se multiplientJaguar Network, PME « pépite » spécialisée dans l’hébergement de données et implantée à Marseille (plus de 100 collaborateurs, CA de 20M) donne l’exemple d’une société de taille moyenne mais qui investit dans l’open innovation. Cette société, qui connaît une hypercroissance annuelle d’environ 30% depuis 2010, prévoit ainsi l’ouverture courant 2017 d’un accélérateur spécialisé dans la smart city. Au programme, un accompagnement à la fois technique et financier, et l’accès à des infrastructures dédiées, en complémentarité des autres dispositifs régionaux. En outre, Jaguar Network a déjà accéléré avec succès 3 à 4 startups dans le cadre de la French Tech Aix Marseille.

La multiplication des dispositifs publics en faveur de l’open innovation contribue également à favoriser son adoption auprès des PME et ETI.

On ne compte plus le nombre de living labs, incubateurs et autres accélérateurs soutenus et/ou opérés par les collectivités, urbaines et rurales. Par ailleurs, l’entreprise ouverte à la portée des PME est un concept désormais promu par BPIFrance au travers de son dispositif Welcome, lancé récemment. Initiative d’abord régionale, expérimentée dans une douzaine de PME et startups de la région Bretagne, celle-ci s’étend désormais à une échelle nationale avec un credo favorable à une adaptation en douceur : PME industrielles, hébergez des startups… et « plus si affinités ».

L’offre, qui propose un encadrement juridique adapté – grâce à une sorte de « contrat de colocation » clé en main et l’absence de contrainte de résultat de collaboration – permet à la fois de réinventer l’offre d’immobilier d’affaires en donnant accès aux startups à des infrastructures et ressources coûteuses (laboratoires, etc.) et à la PME de s’adonner à la culture startup selon des modalités libres. L’open innovation n’est pas contrainte, mais suscitée par le dispositif.

A mesure que l’open innovation poursuit sa percée dans le monde des PME et des ETI, un changement de paradigme pour le territoire et les développeurs économiques semble se dessiner à travers le passage d’un modèle « auto-géré » par le privé, où les grands groupes disposent en interne des ressources nécessaires à la prospection et à l’accompagnement (incubateurs corporate, etc.), à un modèle plus interdépendant. Dans cette perspective, le territoire peut faire jouer à profit sa connaissance de l’écosystème et l’apport de ressources pour animer, fédérer les acteurs de petite taille et ainsi favoriser les collaborations fructueuses.

Territoires : comment soutenir l’open innovation ?

Être un territoire attractif (qualité des infrastructures publiques, qualité de vie, tissu d’entreprises déjà présent, présence de laboratoires publics et privés, etc.) est une condition sine qua none de la constitution d’un écosystème porteur et favorable à l’innovation ouverte, mais ne suffit pas à en assurer la viabilité ni la compétitivité à long terme. Nous postulons que les territoires ont trois cartes à jouer, aux fonctions essentiellement catalytiques, pour favoriser l’innovation ouverte :

  • Un rôle de facilitateur, d’abord : soutenir la collaboration ouverte c’est d’abord faciliter la mise en réseau entre acteurs, dans le cadre d’un système parfois complexe et peu lisible. Un rôle de tiers de confiance, qui s’appuie sur la connaissance des besoins exprimés par l’ensemble des acteurs, et la mise en relation avec l’écosystème et les dispositifs existants (SATT, Pôles de compétitivité, …) en fonction de ceux-ci est ainsi indispensable pour réduire les asymétries d’information et susciter les collaborations ;
  • Un rôle d’accélérateur, ensuite : l’implication d’une collectivité est bien souvent déterminante pour accélérer la concrétisation d’un projet lié à l’innovation ouverte porté par des privés – que cette initiative se traduise ou non par une intégration dans la gouvernance du projet. A titre d’exemple, la métropole du Grand Lyon a joué un rôle majeur dans la réalisation du projet de living lab TUBA, initialement porté par une douzaine de grands groupes. L’implication de la métropole dès les premières phases de la conception du projet a permis d’accélérer le projet en fournissant rapidement un lieu pour le living lab et d’apporter du financement complémentaire. En laissant l’essentiel de la gouvernance de l’outil aux mains des entreprises, la métropole laisse l’écosystème aux commandes tout en renforçant sa visibilité sur le domaine de la smart city. Il est ainsi indispensable que les développeurs économiques soient à l’écoute des projets naissants au sein de l’écosystème, pour lever les freins à leur développement.
  • Un rôle de financeur, enfin : ce rôle s’exprime à la fois dans le financement destiné à la construction des espaces d’échange et d’innovation collaborative, ainsi que dans les subventions aux associations et entreprises qui opèrent ces lieux. Bien souvent, ces financements jouent un rôle clé pour permettre à ces espaces de viabiliser leur modèle économique à moyen terme.

Comprendre et accompagner l’entreprise de demain, ouverte aux flux de connaissances extérieurs (open innovation) mais également aux ressources humaines et à une organisation moins verticale (open organisation) est un impératif pour nos territoires, qui doivent se saisir de la problématique pour faciliter, accélérer et accompagner le changement stratégique et organisationnel des entreprises au profit du développement de l’économie locale.

 

Source : https://www.labterritorial.fr/open-innovation-etat-des-lieux-et-perspectives-pour-nos-territoires/