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Coopétition, ou l’art de collaborer avec ses concurrents par F Boyer

L’entrée dans le XXIème siècle nous a réservé bien des surprises. Parmi celles-ci, l’émergence de la coopétition, contraction de deux mots pour le moins antagonistes : la coopération et la compétition.

Si ce nouveau concept, popularisé en 1996 par Nalebuff et Brandenburger, déroute plus d’un dirigeant, il a incontestablement fait ses preuves et s’inscrit pleinement dans l’évolution des valeurs de notre société qui prône à présent le partage et la collaboration.

Vers une nouvelle perception de son concurrent

Cette nouvelle approche suppose de dépasser la représentation que l’on peut avoir de la notion de « concurrence ». Depuis la nuit des temps, ce terme est fortement synonyme d’adversité. Un concurrent doit être combattu car il représente une menace, dans un monde que l’on pourrait comparer à une « jungle où seuls les plus forts gagnent ». Il importe par conséquent d’être le plus fort pour survivre ou augmenter ses parts de marché.

Ce système de pensée peut être assoupli car l’énergie déployée à lutter contre ses adversaires devient fort coûteuse. C’est pourquoi certaines entreprises ont estimé qu’il était préférable de créer de nouveaux espaces sans concurrent plutôt que de livrer une bataille sans merci face à des adversaires de plus en plus redoutables, de toutes tailles et de tous horizons. Ce fut, à titre d’exemple, la stratégie déployée par Apple avec « Itunes », « l’Iphone » ou encore « l’Apple Store ».

D’autres entreprises ont estimé que le plus important n’était pas de « mettre à terre » son ennemi mais d’augmenter leurs parts de marché, le nombre de clients et les bénéfices, quitte à s’allier avec ses adversaires. Il est certain que cet état d’esprit reste encore embryonnaire dans un système socio-économique où la plupart des entreprises considèrent que leur survie dépend de leur aptitude à gagner contre leurs adversaires.

Si une alliance avec un concurrent permet à des entreprises de développer conjointement leurs performances, pourquoi ne pas s’y engager ?

 

Coopétition et complémentarité des compétences

La première finalité de la coopétition consiste à conjuguer deux savoir-faire d’entreprises concurrentielles afin de donner naissance à un produit ou un service commun dont l’affichage vis-à-vis du client final pourra être soit une enseigne partenariale, soit demeurer sous l’apparence des deux enseignes.

Sony et Samsung : l’alliance pour la conquête du marché du téléviseur LCD

C’est ainsi que Sony et Samsung ont créé en 2003 la coentreprise S-LCD pour donner naissance à une nouvelle génération de téléviseurs LCD. Sony, alors leader sur le marché de la télévision a eu besoin de la technologie de Samsung concernant les écrans plats. Cette alliance a permis à Samsung de se positionner sur ce marché. En 2006, Samsung et Sony sont devenus les deux premiers constructeurs de télévision LCD.

Ces deux firmes ont considéré que la création d’une alliance leur permettrait, d’une part de créer un avantage mutuel par rapport aux autres concurrents et, d’autre part, que la complémentarité de leurs expertises permettrait de pousser la frontière de la technologie. Dans ces deux pays (la Corée et le Japon), l’innovation technologique est considérée comme une fierté nationale. Rappelons également que ces entreprises ont du dépasser une très forte rivalité nationale suite à la colonisation de la Corée par le Japon au début des années 1900.

Autre exemple, celui de l’alliance entre IBM et Oracle en 2005, rivales dans plusieurs secteurs d’activité, en vue de capter le marché des progiciels de gestion intégrés (ERP) pour les PME. Oracle a profité du réseau de distribution d’IBM tandis que les ingénieurs commerciaux d’IBM ont pu élargir leur offre.

Dernier exemple, Renault et Daimler se sont unis dans le domaine de la voiture légère avec une architecture commune pour la SMART et la TWINGO.

Ces stratégies d’alliance reposent généralement sur une partie de l’activité des entreprises. La collaboration entre concurrents peut être réalisée, soit par le biais d’une structure juridique distincte, soit par l’intermédiaire de « cellules de coopération », comme se fut le cas pour l’alliance entre Apple, Motorola et IBM lorsqu’ils mirent au point le « PowerPC » (gamme de processeurs).

 

Coopétition et réduction des coûts

Au-delà de la complémentarité et de l’avantage concurrentiel que procure une alliance pour les entreprises concurrentes partenaires, la coopétition peut également avoir comme finalité de permettre à des concurrents de réduire leurs coûts de fonctionnement.

C’est ainsi que Henkel (« le Chat », « Mirror ») et Reckitt-Benckisser (« Woolite », « St Marc ») ont décidé en 2006 de regrouper leurs moyens logistiques afin d’augmenter le taux de remplissage de leur camion de livraison (jusqu’alors remplis aux ¾ pour ces deux entreprises). La mutualisation des camions, à travers le projet HERCORE, a permis à ces deux industriels, concurrents directs, de réduire de 20% leurs coûts logistiques (stockage, transport…).

Epiphénomène diront certains. Ils seraient surpris de découvrir que ce modèle a également été adopté récemment par PepsiCo, Orangina et Rock & Rock dont l’alliance sur la chaine de transport a permis de diminuer de 3% les coûts de transport et de réduire l’émission de CO2 (protection de la planète oblige).

Auchan et Système U ont rapproché leur centrale d’achat pour réduire le coût d’acquisition des biens de consommation et passer devant Carrefour et Leclerc. Cette alliance a permis, en septembre 2014, à l’entreprise familiale Mulliez et au groupement coopératif mené par Serge Papin de représenter 21,5% des parts de marchés et subséquemment d’en prendre la tête devant Carrefour (21%) jusqu’alors leader incontesté et Leclerc (20%).

D’ailleurs, quelques temps après, pour éviter d’être distancé par ces grands concurrents, Intermarché et le groupe Casino ont signé un accord similaire. La compétition serait-elle la nouvelle arme des David contre les Goliath ?

 

Coopétition et oligopole

Bien que ces deux géants soient riveaux depuis des décennies, Apple et Microsoft se sont unis pour créer le plus grand écosystème informatique afin d’empêcher tout autre concurrent de s’aventurer dans « leur cour ». Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, la liste de leur collaboration est longue. Par exemple, Microsoft a lancé sur le marché Outlook (messagerie de Microsoft) pour Mac dans son Office Vision en 2011 après qu’Apple ait rendu disponible le navigateur Safari sous Windows.

 

Comment adopter la « coopétition attitude » ?

Vous l’avez compris, la coopétition suppose d’adopter de nouveaux modes de pensée :

– Il est parfois pertinent de bénéficier d’un savoir-faire d’un concurrent pour s’unir et développer la complémentarité en vue de créer un nouveau marché.

– S’allier à un concurrent direct peut permettre de partager à terme une position de leader et laisser loin derrière les autres concurrents.

– Il peut être plus bénéfique pour moi de s’allier à un concurrent pour gagner conjointement plus de parts de marché.

Et plus généralement, une nouvelle philosophie : « Nous sommes plus fort à plusieurs que tout seul ».

Les crises financières successives, l’accélération des rythmes de changement de notre société et l’évolution des besoins des consommateurs malmènent les entreprises et les obligent à se réinventer en permanence.

Selon l’économiste James Surowiecki, un groupe de personnes d’intelligence moyenne aura une meilleure idée que le plus intelligent des Hommes. La coopétition permettra à une entreprise, par les échanges d’idées et de savoir-faire avec son concurrent, de donner naissance à une nouvelle offre qu’elle n’aurait certainement pas pu initier toute seule.

Les stratégies de coopétition, par les forces qu’elles unissent, peuvent permettre à deux concurrents de passer d’une stratégie défensive (réduction des coûts) à une stratégie conjointe plus « offensive » afin de créer plus de valeur (exploration d’un nouveau marché par exemple) et se différencier.

Source : https://www.linkedin.com/pulse/coop%C3%A9tition-ou-lart-de-collaborer-avec-ses-francis-boyer