Startups et grands groupes par A Baschiera

Avant de nous intéresser aux Règles du jeu (Partie 2), au Corporate venturing (Partie 3) et au Codéveloppement (Partie 4), revenons au point de départ, et tâchons de répondre à la question suivante : Pourquoi est-il crucial pour les startups et pour les grands groupes de travailler ensemble ?

L’ère de l’innovation interne en entreprise est révolue

Nokia, Motorola et Kodak sont des marques que les plus de 30 ans connaissent très bien, mais dont peu de jeunes ont entendu parler. Pourquoi ? Ces grandes entreprises ont disparu (ou presque) parce qu’elles n’ont pas su anticiper, intégrer, initier ni même accepter des évolutions technologiques extrêmement soudaines : Kodak n’a pas cru en la photo numérique, Motorola n’a accordé aucune considération au protocole 3G et Nokia n’a pas vu venir l’essor de l’écran tactile. Pour les entreprises du secteur tech, la moindre avancée technologique peut avoir un impact redoutable. Elles doivent donc surveiller de près les tendances du marché et l’évolution des besoins des consommateurs si elles veulent survivre aux cataclysmes induits par l’innovation.

Les changements de tendance se produisent à la vitesse de l’éclair, et les départements internes des grands groupes doivent absolument suivre le rythme. D’autre part, alors que l’innovation était autrefois le domaine réservé des départements R&D des grandes entreprises, des inventeurs individuels et des acteurs institutionnels comme les universités et leurs centres de recherche, elle est désormais accessible aux petites structures qui peuvent se procurer les ressources nécessaires à son développement. La transition vers des technologies principalement dématérialisées et non plus ancrées sur le matériel, ainsi que l’essor d’Internet, avec son vaste réseau de connaissances, ont un impact majeur :

 

Les compétences et l’expertise technologiques ne sont plus l’apanage des grandes entreprises établies, mais se retrouvent également de plus en plus dans les entités de taille réduite.

 

Les grandes corporations conscientes de cette tendance ont réagi en lançant un nouveau modèle d’innovation « ouverte », qui prône l’interaction avec d’autres sources novatrices. La collaboration directe avec les startups en est un aspect évident, et on peut également mentionner la production participative (ou  crowdsourcing)/ingénierie et l’intrapreneuriat.

L’innovation ouverte a une conséquence intéressante : la multiplication des moteurs. Alors que les départements de R&D des secteurs de la haute technologie (comme l’informatique, l’automobile et la défense) étaient autrefois les chefs de file de l’innovation, d’autres secteurs comme ceux des produits de grande consommation, du luxe et du tourisme introduisent à leur tour des innovations radicales. En effet, la capacité à innover ne repose plus uniquement sur des compétences technologiques internes, mais plutôt sur l’esprit d’entreprise.

 

Divers atouts à exploiter

Maintenant que le contexte est établi, passons au sujet qui nous intéresse : les startups et les grands groupes. Quelles sont leurs atouts respectifs, et comment équilibrer ces contributions afin de parvenir à un partenariat aussi juste que possible pour les deux parties ? Il est temps d’entrer dans les détails :

 

Atouts des startups : compétences, technologies, connaissance des consommateurs, vision de ce que le monde pourrait devenir.

 

Prenons l’exemple d’un plan d’exécution très simple pour donner vie à une idée : on peut comparer la contribution des startups à un grand écart en gymnastique.

Phase 1 : Contributions de la startup : création de l’idée, test initial et validation du client, compétences technologiques spécifiques, etc.

Phase 3 : Contributions de la startup : vision du déploiement international du produit ou service, bien différente de ce qui se fait actuellement.

 

Atouts des grands groupes : compréhension des canaux de distribution et du marché mondial, capacités d’investissement, crédibilité, vision de ce que le monde est aujourd’hui.

 

Prenons le même exemple : sans grande surprise, les grands groupes contribuent principalement à la phase 2 de la relation avec les startups.

Phase 2 : Contributions du grand groupe : proposition de valeur améliorée, tests à plus grande échelle, accès au marché, capacités industrielles, crédibilité.

 

On peut évidemment trouver des exemples de plans exécutés avec succès en solo, où les trois phases de l’innovation ont été gérées par une startup ou un grand groupe à titre individuel. Mais intéressons-nous de près à la phase 2 : certaines des étapes requièrent la mobilisation de ressources considérables (industrialisation, internationalisation, accès aux grands marchés de consommation, etc.), et une jeune pousse aura forcément besoin d’aide pour mener cette deuxième phase à bien.

Jusqu’à récemment, le seul moyen pour une startup de se déployer était de compter sur un apport de fonds important de la part d’investisseurs tels que des sociétés de capital-risque. De plus en plus d’entrepreneurs se tournent vers l’alternative du partenariat solide avec un grand groupe, après avoir pesé le pour et le contre.

 

L’essor du B2B2C chez les startups

Comme le montre le graphique ci-dessous, sur 1 000 startups notées par Early Metrics :

–      Environ 70 % ciblent directement les grands groupes en tant que clients ;

–      Sur les 30 % environ qui ciblent des particuliers, près d’un tiers ciblent des grands groupes en tant que partenaires de distribution.

 

 

Orientation commerciale d’un portefeuille de près de 1 000 entreprises notées.

Principaux secteurs ciblant les grands groupes en tant que clients ou partenaires.

 

En tant que clients…

En tant que partenaires…

 

Une petite mise au point pour tenter de comprendre ces startups qui ne ciblent pas les grands groupes en tant que clients, mais semblent tout de même avoir besoin d’eux…

Voici un exemple que les professionnels de la création d’entreprises rencontrent de plus en plus souvent : les grandes entreprises de la technologie financière ou « Fintech » (services bancaires et financiers personnels, envoi de fonds C2C, trading amateur, etc.) visant les consommateurs.

Le P&L de base de ces entreprises se calcule ainsi :

 

[Valeur vie client (CLV) – Coût d’acquisition client (CAC)] * Nombre de clients

 

Il exerce une forte pression sur le CAC, qui se développe malheureusement rapidement sur la plupart des canaux d’acquisition, en particulier en ligne. Cela est d’autant plus problématique pendant les premières années d’existence de la startup, lorsque la CLV est faible (fidélité non garantie des utilisateurs, une seule solution de monétisation activée, pas d’effet de réseau associé à un grand nombre d’utilisateurs…) et le CAC élevé (canaux d’acquisition non optimisés).

 

Pour surmonter ce problème, les startups ont le choix entre deux solutions :

Mobiliser des capitaux importants à dépenser pour l’acquisition, sans se soucier réellement de la rentabilité (comme Uber, Transferwise, etc.) ;

Comme il n’est pas toujours possible de lever des capitaux propres à hauteur de plusieurs millions, de nombreuses sociétés émergentes tentent de s’appuyer sur les bases de clients existantes, grâce aux voies d’accès au marché B2B2C ou à des accords de distribution. Voici quelques exemples de scénarios courants parmi les entreprises notées :

  • Une startup innovant dans le domaine de la santé qui s’associe à une société d’assurance
  • Une startup dans le domaine de la télématique qui s’associe à une société d’assurance ou à une entreprise automobile
  • Une société de médias sociaux qui s’associe à un média ou à un éditeur
  • Une startup Fintech C2C qui s’associe à une banque traditionnelle
  • Etc.

 

Des voies d’accès au marché innovantes pour les grands groupes

Comme nous l’avons vu précédemment, l’accès au marché est un atout que les grands groupes offrent aux startups plutôt que l’inverse, mais cette tendance évolue elle aussi rapidement.

Si les entreprises bien établies ont généralement un accès solide à leur base d’utilisateurs traditionnelle, ce n’est pas toujours le cas dans les segments émergents ni les niches spécifiques. Les membres de la génération Y et les travailleurs étrangers sont de très bons exemples de segments de marché auxquels les grands groupes peuvent avoir accès plus facilement en s’associant à une startup. Voici des exemples récents de partenariats de ce type :

  • Une banque Tier 1 qui s’associe à une startup d’envoi de fonds pour proposer des services bancaires de base aux travailleurs étrangers
  • Une grande société d’assurance qui s’associe à une startup dans le domaine de l’économie de partage pour assurer les échanges de biens ou services entre tiers
  • Une marque de produits de grande consommation qui s’associe à une startup du secteur des médias sociaux pour avoir accès à un public spécifique (génération Y, le plus souvent)

 

Ce sont ces stratégies B2B2C ou B2B2B que nous venons d’aborder, plus que le corporate venturing, qui donnent cette place centrale à la relation grands groupes/startup dans l’économie d’aujourd’hui et de demain.

 

Après une introduction dans laquelle j’ai évoqué les nouvelles formes d’innovation, et avant de nous intéresser au Corporate venturing (Part 3) et au Co-développement (Part 4), voyons quels sont les impératifs pour une collaboration fructueuse entre les startups et les grands groupes.

 

Règle n° 1 : Définir les critères de succès et faire converger les attentes

 

Lorsque startups et grands groupes s’engagent sur la voie de la collaboration, il est absolument essentiel de s’interroger sur les motivations sous-jacentes des deux parties. Ce devrait être le cas dans tous les échanges commerciaux, mais étant donné les différences en termes de taille et la variété des types de collaboration possibles, c’est d’autant plus important dans le cas des startups et des grands groupes.

Lorsque l’on interroge des PDG de startups à propos de leur collaboration avec de grands groupes, la crainte du « hold-up des droits de propriété intellectuelle » est évoquée au bout de quelques minutes à peine. Lorsque l’on discute avec des responsables de l’innovation de grands groupes, l’une des préoccupations qui reviennent le plus souvent est la suivante : « les startups nous voient comme des sociétés avec un portefeuille bien garni et un accès direct au marché, mais elles ne comprennent pas comment nous sommes organisés et comment notre processus de prise de décisions fonctionne réellement ».

Des deux côtés, des idées fausses peuvent subsister : pour éviter les malentendus dès le départ, la meilleure solution est donc, et sera toujours, de définir avec précision les objectifs de la collaboration.

Voici ce que nous recommandons : après deux ou trois réunions (car il n’en faut généralement pas moins avant d’entrer dans le vif du sujet), chaque partie doit avoir clairement identifié ses attentes et les avoir communiquées à l’autre.

 

Pour la startup, les objectifs à moyen terme d’une collaboration avec un grand groupe pourraient être les suivants :

  • S’attacher le grand groupe en tant que client ou en tant que…
  • …client clé, avec un chiffre d’affaires visé de X ;
  • … partenaire technologique ;
  • … fournisseur de technologies ;
  • … partenaire de distribution ;
  • … source de données ;
  • … partenaire en matière de conformité, etc.

 

Il est important de noter que s’attacher le grand groupe en tant qu’actionnaire (minoritaire ou majoritaire)ne figure pas dans la liste. En matière de prise de participation, il faut bien comprendre que, tout comme le mariage est la conséquence d’une rencontre déterminante et d’une relation épanouie, l’investissement ou l’acquisition est la conséquence d’un partenariat fructueux impliquant l’un des points cités plus haut (et généralement plusieurs).

 

Pour le grand groupe, les raisons principales d’une collaboration avec une startup pourraient être les suivantes :

  • S’attacher la startup en tant que simple fournisseur de technologies ou en tant que…
  • … représentant d’un nouveau service potentiel ;
  • … représentant d’un nouveau segment de marché potentiel ;
  • … partenaire de distribution pour un segment/produit spécifique ;
  • … argument de communication ;
  • … partenaire technologique, etc.

 

Vous voyez l’idée : aucun objectif n’est bon ni mauvais en tant que tel. L’important, c’est la transparence des deux parties sur la véritable nature de leurs objectifs et la convergence entre ceux-ci.

Chaque partie doit pouvoir formaliser ses ambitions et connaître celles de l’autre. Du côté du grand groupe, étant donné que de nombreuses parties prenantes sont généralement impliquées, le responsable du projet doit également assurer une harmonisation interne.

 

Règle n° 2 : Mesurer le succès (ce qui n’est pas si simple dans le domaine de l’innovation)

 

Quand il s’agit de mesurer le succès d’une campagne sur les réseaux sociaux ou du lancement d’un nouveau produit, les deux parties sont en terrain connu. Les choses se compliquent quand il s’agit de mesurer le succès d’une preuve de concept (POC) entre une jeune pousse Fintech et une banque Tier 1. Comment procéder, et quelles questions se poser ?

 

Étape 1 – Demandez-vous si le succès d’une collaboration peut facilement se quantifier, ou s’il se mesure uniquement en des termes du type « ça fonctionne/ça ne fonctionne pas ».

Étape 2 – Si le succès peut être quantifié, déterminez les indicateurs clés de performance (KPI) à surveiller. Ne vous contentez pas des statistiques bonnes pour l’égo (« vanity metrics ») comme le nombre de pages vues ou de « j’aime » : optez pour des mesures qualitatives, comme le taux de conversion, de fidélisation, etc.

Étape 3 – Si le succès ne peut pas être quantifié, déterminez avec soin les cibles associées aux KPI sélectionnés, sans oublier de tenir compte des ordres de grandeur et de la faisabilité globale.

Étape 4 – Si le succès ne peut pas être quantifié facilement, déterminez les caractéristiques des résultats qui vous permettront de vous faire une idée claire et objective de la réussite ou de l’échec de la collaboration.

 

Dernier point, mais pas le moindre, n’oubliez pas que pour les deux parties, l’échec doit être une possibilité, car l’innovation passe aussi par là.

 

Règle n° 3 : Désigner un interlocuteur unique

 

Décideur, détenteur du budget, utilisateur… Pour une startup, il est important de se familiariser avec ces termes et de comprendre les rôles qu’ils désignent. Dans les grandes organisations, trois personnes ou pluspeuvent se partager ces responsabilités, et elles ont toutes leur mot à dire dans le OUI final.

Pour faciliter la collaboration, il est essentiel de désigner un responsable interne assumant un maximum de ces rôles, ou ayant au moins un accès direct à la plupart d’entre eux. Il doit s’agir au minimum d’un utilisateur du service, car il est plus compliqué d’être managé par quelqu’un qui n’est pas familier des défis que la solution/le service doit résoudre.

Les startups ont la responsabilité d’identifier et de convaincre ce responsable interne, mais l’inverse est vrai (et souvent plus naturel) également : le responsable doit établir le dialogue avec la startup. La transparence dans les communications entre le responsable interne et l’entrepreneur est cruciale, notamment sur des sujets complexes comme les caractéristiques techniques ou les délais de paiement.

 

Règle n° 4 : Commencer petit et viser grand

 

Du point de vue de la startup, il est assez fréquent de considérer le grand groupe comme une société au portefeuille bien garni, prête à payer pour le moindre truc sortant de l’ordinaire, et c’est une grave erreur. Les grands groupes ont une approche extrêmement rationnelle des dépenses, et cherchent généralement à réduire les coûts à tous les niveaux, y compris dans les domaines du numérique et de l’innovation.

Plus le montant est élevé, plus les parties impliquées dans la prise de décisions sont nombreuses, et plus il y a de risques que rien ne se fasse. C’est pourquoi la meilleure approche à adopter est celle du projet pilote/déploiement.

 

Phase 1 : Projet pilote – Aboutir au premier succès L’objectif pour les deux parties est de définir le premier cas d’application de la collaboration.

Voici les points clés à retenir :

  • Sa taille doit être aussi limitée que possible, afin de réduire le nombre de décideurs impliqués. Il est recommandé de cibler un champ d’application (c’est-à-dire un montant en euros, dollars ou livres) qui évite d’avoir à passer par un appel d’offres, une étape de validation de la conformité ou une procédure de validation par la direction.
  • Ses chances de succès doivent être aussi élevées que possible. Dans le cas d’un projet pilote, il est également recommandé d’éviter tout changement au niveau de la conception, de l’intégration ou de la marque.

Phase 2 : Déploiement – Procéder progressivement à un déploiement à plus grande échelle, en tirant les enseignements d’un ou plusieurs projets pilotes Les données et les informations collectées via les projets pilotes permettent de convaincre les collègues sceptiques et de rassurer les équipes chargées des achats. Parvenir à cette phase est une expérience très gratifiante pour les deux parties, et c’est peut-être là que la collaboration entre un grand groupe et une startup peut vraiment porter ses fruits.

 

Pour conclure, l’un des principaux facteurs de succès consiste à établir une relation aussi normalisée que possible, sans trop solliciter le pouvoir de négociation de chaque partie et en ayant des conversations franches quand cela est nécessaire.

Après nous être intéressés au pourquoi (Part 1 : Une amitié nécessaire) et au comment (Part 2 : Les règles du jeu), nous conclurons la série sur la question du co-développement (Partie 4). Pour le moment, parlons du corporate venturing et tâchons de répondre aux trois questions que les experts du secteur se posent actuellement :

  • Pourquoi les grands groupes ont-ils intérêt à prendre des parts dans des startups ?
  • Pourquoi les startups se tournent-elles vers les grands groupes plutôt que vers les sociétés de capital-risque pour lever des fonds ?
  • Quels sont les principaux enseignements à tirer de ce nouveau mode de financement des jeunes entreprises et les conséquences potentielles sur le capital-risque traditionnel

 

Qu’est-ce que les fonds de corporate venturing (ou Corporate Venture Capital, CVC) ?

Le corporate venturing désigne le développement de structures de capital-risque dédiées au sein de grands groupes, permettant à ces derniers une prise de participation directe dans de petites entreprises innovantes.

Actuellement, aux États-Unis, près de 50 % des grands groupes possèdent de telles entités financières : les CVC ont investi 6,9 milliards d’euros en 2015.

De grandes sociétés internationales comme Google ou Microsoft incarnent parfaitement cette tendance. La première a créé Google Ventures (GV) en 2009 et a depuis investi dans plus de 300 entreprises : Uber, Nest (acquise par Google en 2014) ou Slack, par exemple. La seconde a fondé Microsoft Ventures, qui investit dans les produits et solutions de secteurs proches de son métier de base, comme l’intelligence artificielle, les analyses, le SaaS ou l’infrastructure cloud.

 

 

Mais les temps changent, et le corporate venturing n’est plus l’apanage de la Silicon Valley. Des sociétés spécialisées ont créé leurs propres fonds d’investissement dans des secteurs très variés. Par exemple, Safran Corporate Ventures ou Total Energy Ventures prennent régulièrement des parts dans des startups prometteuses, dans le monde entier. Les assureurs ne sont pas en reste, comme en témoigne l’investissement de la Macif et de la Matmut dans Carizy : « Nous avions besoin de passer au numérique pour simplifier l’achat et la revente de voitures pour nos abonnés », explique Bertrand Berlin, vice-président et directeur du développement de la Macif.

La prise de participation dans des entreprises en phase de démarrage n’est plus réservée aux acteurs traditionnels de l’investissement, ce qui signifie que le domaine du capital-risque est en passe de se déprofessionnaliser. Cette nouvelle tendance montre également que l’investissement est désormais perçu comme faisant partie intégrante de la stratégie d’entreprise.

 

La promesse du donnant-donnant

Mais pourquoi les grands groupes investissent-ils directement dans de jeunes pousses au lieu de conclure des partenariats avec elles ? Et pourquoi celles-ci acceptent-elles cette prise de participation ? Tâchons de comprendre les mécanismes qui motivent les deux parties prenantes de cette collaboration.

Alors que les fonds de capital-risque (CR) traditionnels ont pour but d’optimiser financièrement leurs investissements initiaux pour sortir du capital avec une plus-value après quelques années, l’un des principaux objectifs des CVC est de capitaliser sur leurs parts d’un point de vue commercial. En effet, même s’ils ne détiennent que 10 à 15 % d’une startup, ils bénéficient au final d’un accès à 100 % de ses compétences et technologies.

Cette stratégie pourrait donc coûter dix fois moins cher que le développement d’un projet en interne, tout en conférant aux grands groupes un avantage sur la concurrence. Comme l’indique Joeri Kamp, directeur de l’information et de l’innovation chez Eneco, dans un rapport de KPMG sur la collaboration entre startups et grands groupes : « Nous investissons dans les startups pour des raisons plus stratégiques que financières ».

Quant aux startups, leur principal objectif est d’obtenir plus que le soutien financier et les capacités de gestion promis par les sociétés de capital-risque traditionnelles. D’après KPMG, les startups qui intègrent de grands groupes dans leur conseil d’administration sont 19 % plus susceptibles d’instaurer la collaboration afin d’accéder à des installations de test et de production, et 26 % moins susceptibles de le faire pour améliorer leur visibilité et leur image de marque. Cela montre que l’on attend des CVC une contribution efficace et opérationnelle à la croissance d’une startup, au moins à moyen terme.

 

Les règles des CVC en matière d’investissement pour une relation fructueuse avec les startups

Il ne fait aucun doute que la structure même des grands groupes les ralentit dans leurs processus décisionnels. Toutefois, maintenant qu’ils sont en concurrence directe avec les fonds traditionnels, les grands groupes comprennent la nécessité d’accélérer la prise de décision afin de se rapprocher des standards du capital-risque et d’effectuer rapidement des placements intéressants.

Autre règle : ne pas prendre trop d’actions lors du premier investissement. Pour un grand groupe rompu aux reprises, fusions et acquisitions, investir dans une startup signifie changer ses habitudes et procéder à des investissements plus limités. Les CVC doivent également accorder aux entreprises dans lesquelles elles investissent une certaine liberté dans leurs opérations quotidiennes : pouvoir compter sur le soutien d’un grand groupe présente de nombreux atouts pour une jeune pousse, mais l’intervention du CVC en matière d’adaptation au marché peut mettre en péril le déploiement du service ou des produits de la startup.

Prenons un exemple concret : le grand groupe actionnaire impose des conditions d’exclusivité drastiques à la startup dans laquelle il investit. Dans ce cas, la répartition des tâches entre le partenaire commercial et l’investisseur n’est pas respectée. Le fonds de corporate venturing ne doit pas oublier que la collaboration n’a pas qu’un objectif commercial : elle vise également un retour sur investissement financier et une possible plus-value en sortie. Il est donc temps d’adopter les réflexes d’un acteur financier.

 

CVC et CR : la guerre est-elle déclarée ?

Les sociétés de capital-risque traditionnelles doivent-elles avoir peur des fonds de corporate venturing ? Il n’est pas facile de répondre à cette question, en particulier parce que les intérêts de ces entités ne convergent pas toujours. Prenons l’exemple de l’évaluation. Pendant la phase d’évaluation avec la startup, le CVC mettra en avant le fait qu’il peut apporter un soutien précieux à la croissance d’une entreprise, de diverses manières : par le biais d’un partenariat de distribution, d’un soutien à la production, etc. Les sociétés de CR, quant à elles, peuvent apporter de la « smart money », mais n’auront pas d’influence directe sur les opérations et le déploiement. Les objectifs à moyen terme des investisseurs peuvent également être différents des objectifs à long terme des grands groupes, pour la même innovation.

À court terme par contre, certains cas prometteurs montrent bien qu’une convergence des intérêts est possible. En octobre 2016 par exemple, Open Data Soft a levé 5 millions d’euros via la société de capital-risque Aster Capital, la filiale de corporate venturing Salesforce Ventures de Salesforce et son investisseur historique Aurinvest. Il sera intéressant de voir comment le co-investissement CR/CVC évoluera dans les prochaines années, et s’il deviendra un modèle ou restera un cas isolé.

Il est clair que le corporate venturing fait parler de lui dans les relations entre les grands groupes et les startups : le principal défi sera de combiner un partenariat commercial classique et un partenariat financier propre au capital-risque traditionnel. Quelle que soit l’issue, le corporate venturing est une tendance prometteuse dans l’écosystème des startups, dans sa manière de donner une nouvelle dimension à l’innovation, et de combler le fossé entre la finance et l’économie au quotidien.

Source : http://www.bpifrance-lehub.fr/startups-grands-groupes-part-1-amitie-necessaire/