La tectonique des plateformes et la géologie de l’innovation dans les grands groupes par G Bolloré
Un changement d’ère : de l’hybridation à la siloïsation…
Lorsque l’on parle de disruption technologique, on pointe souvent le manque de réactivité de la vieille économie en oubliant de se pencher sur les raisons de cette apparente léthargie. Contrairement aux startups très agiles et unidimensionnelles, les grands groupes sont faits de strates bien plus nombreuses et complexes, nécessitant des temps de mouvement plus longs. Pourtant, si l’on utilise une échelle chronologique plus large pour observer la géologie de l’innovation dans les grandes entreprises, on peut aisément repérer de vrais changements d’ères.
L’ère de l’hybridation : pour répondre aux startups disruptives, le grand groupe a créé une équipe innovation dont la mission est d’identifier des solutions de défense, trouver une parade structurelle et préparer les collaborateurs à une transformation inéluctable de l’organisation. Cette équipe est hybride, puisque composée de collaborateurs historiques du groupe mais aussi de gens ayant déjà une expérience de l’écosystème startups (entrepreneurs, développeurs, anciens startupers…).
L’ère de la siloïsation : la mission de l’équipe innovation a fait des émules et débouche sur une multiplication des points de contact entre l’entreprise et les startups. Dans le même temps, des partenariats de sourcing se nouent avec des investisseurs, augmentant encore un peu plus le nombre de startups qui gravitent autour du groupe. Des premiers partenariats startups voient le jour (pilotes, co-créations, acquisitions, etc.) mais sans véritable transversalité ou partage d’information à grande échelle, conduisant l’innovation à se développer en silos… Chacun fait sa sauce novatrice dans son coin, vrai paradoxe d’une « open innovation » en difficulté.
Dès lors, le grand groupe comprend qu’il doit réfléchir aux moyens de briser ses silos internes : l’ère de la plateformisation se profile.
Les géologues de l’innovation font entrer leurs groupes dans l’ère de la plateformisation
L’ère de la plateformisation : la multiplication des interactions avec les startups et l’émergence de silos rendent la capacité de l’entreprise à capter une information, à la comprendre, à la rediriger et à l’utiliser de manière pertinente de plus en plus difficile à assurer… Comment partager un bon tuyau ou un retour d’expérimentation terrain ? Qui a besoin de cette information en interne ? Comment connaître la performance du groupe dans ses relations startups ? Les réponses à ces questions sont cruciales tant elles constituent de véritables aides à la décision business.
Les géologues de l’innovation se penchent alors sur des outils de gestion des flux d’innovation, des plateformes collaboratives articulées autour d’une idée simple : en centralisant les interactions des collaborateurs du groupe avec les startups sur une même plateforme, on facilite la gestion, le traitement, le suivi, la diffusion et l’utilisation pertinente des informations sous-jacentes à ces interactions.
Néanmoins, certaines précautions sont de mise pour éviter que cette ère de la plateformisation ne devienne une nouvelle ère glaciaire. En effet de nombreuses plateformes tombent dans le piège de « la fonctionnalité à gogo » et deviennent de véritables usines à gaz finalement peu utilisées. L’outil perd alors de son sens puisque pour briser les silos internes, il faut une utilisation par un maximum de collaborateurs du groupe. Les facteurs clefs de succès sont donc à la fois la conception d’une expérience utilisateur réussie (installation, prise en main, design et ergonomie) et une réflexion poussée sur l’ajout de fonctionnalités, traduisant une véritable vision produit centrée sur l’utilisateur. A l’image des plateformes B2C que nous utilisons tous, ces facteurs clefs doivent être mesurés en permanence (nombre d’utilisateurs actifs, rétention des collaborateurs, utilisation de telle ou telle fonctionnalité, etc.) et doivent s’inscrire comme les critères principaux de fidélité à une plateforme : à ce titre la flexibilité des outils ayant un business model sans engagement est à privilégier.
Finalement, cette ère de la plateformisation marque une transformation en profondeur du grand groupe qui s’outille pour transformer sa veille startups en aide à la décision business, pour diffuser ses initiatives d’innovation en interne et pour capitaliser sur le potentiel innovant de l’ensemble de ses ressources humaines. Désormais le scénario est clair : pour les groupes dinosaures, l’extinction approche…
Gaëtan Bolloré, co-fondateur chez startupflow.io
Source : https://fr.linkedin.com/pulse/la-tectonique-des-plateformes-et-g%C3%A9ologie-de-dans-les-ga%C3%ABtan-bollor%C3%A9