L’innovation ouverte est morte, vive l’organisation ouverte ! par A Meige

Les chaînes de valeur sont bousculées depuis une quinzaine d’années. Dans ce contexte, de nouvelles formes d’organisation voient le jour, avec deux mots d’ordre : ouverture et décentralisation.

Comme toujours, quelques entreprises pionnières inventent de nouvelles pratiques managériales pour s’adapter à leur environnement – pour survivre. Ces pratiques sont ensuite diffusées, notamment par les grands cabinets de conseil, aux autres entreprises. Enfin, celles-ci sont théorisées par des professeurs brillants du monde académique, parachevant leur diffusion. Il y a quinze ans, le terme « open innovation » (innovation ouverte) était proposé par le professeur Henry Chesbrough, de Berkeley, pour décrire un ensemble de pratiques inventées par quelques entreprises américaines vingt ans plus tôt. En 2017, qu’en est-il de l’innovation ouverte. Mode ? Réalité ? Tautologie ? Germe d’autres évolutions ?

Depuis une quinzaine d’années, les chaînes de valeur sont complètement reconfigurées, et ce à une vitesse fulgurante. Or dans un monde extrêmement mouvant, l’organisation traditionnelle des entreprise n’est plus adaptée. Non seulement l’innovation ouverte est la réponse darwinienne à un changement rapide de l’environnement (lire aussi la chronique « Innovation ouverte, innovation hybride : quel modèle choisir ? »), mais elle est le germe de changements bien plus profonds au sein des organisations.

Des organisations bouleversées et bousculées

Trois tendances bousculent nos entreprises :

1. On assiste à une inflation exponentielle du volume des connaissances. Cette année, la quantité de publications scientifiques dans le monde dépassera les 5 millions et le nombre de brevets avoisinera le million. Ces connaissances sont par ailleurs de plus en plus fragmentées : elles sont générées par des entités dont la taille moyenne diminue.

2. Le rythme auquel un nouveau produit devient une commodité s’accélère. En quelques années, le délai de conception d’un avion est passé de dix à sept ans. Pour continuer à se différencier, préserver leurs marges et conserver leurs clients, la tendance est d’associer aux produits des services. Michelin, sur son segment professionnel, ne vend plus des pneus, mais des kilomètres parcourus. Cette tendance à la « servicisation » se généralise à tous les secteurs industriels.

3. La digitalisation précipite la reconfiguration des chaînes de valeur traditionnelles. Il y a quinze ans, l’industrie de la musique était complétement transformée par un acteur du numérique, Apple. Aujourd’hui, il s’agit du transport, du logement, de la banque ou encore de l’assurance ; c’est-à-dire des secteurs essentiellement B2C – c’est la première vague. Mais la seconde vague arrive : les mêmes stratégies dites « de plateforme », sont en train de voir le jour dans les secteurs B2B industriels. General Electric, avec sa plateforme Predix, est en train de déployer la même stratégie qu’Apple avec l’AppStore, mais pour des applications industrielles.

Pour tirer parti de connaissances exogènes pour innover plus vite dans un contexte digital, l’open innovation apparaît comme un impératif absolu. Mais aussi comme un pléonasme. Car comment l’innovation pourrait-elle ne pas être ouverte ? En réalité, il faudrait même parler d’organisation ouverte.

Des organisations ouvertes et décentralisées

Pour innover mieux, plus et plus vite, c’est toute l’organisation qui doit changer. Voilà pourquoi toutes les grandes entreprises, hantées par le spectre de Kodak, se demandent comment atteindre l’agilité d’une start-up malgré leurs milliers ou dizaines voire centaines de milliers de collaborateurs. La réponse n’est autre qu’une nouvelle forme d’organisation. Une entreprise ouverte et décentralisée, dynamique et digitalisée. Les prémices sont déjà visibles.

D’abord, localement au sein d’entreprises traditionnelles, souvent par le biais de nouveaux venus dans l’organigramme tels que le directeur innovation, le directeur de la transformation digitale, etc. Mais aussi via de nouveaux outils comme les incubateurs, les accélérateurs, les innovation labs… Autant d’initiatives locales dont l’objectif est d’injecter de l’agilité dans l’entreprise.

Ensuite, des indices sont aussi visibles à l’échelle des entreprises dans leur globalité. Des entreprises dans lesquelles le système pyramidal, jugé inefficace dans un contexte mouvant, est abandonné. Certaines entreprises dites « libérées » témoignent avec succès de ce type d’organisation (lire aussi la chronique « L’entreprise libérée : avant tout un regard positif sur le monde du travail »). Par ailleurs, certains fonds d’investissement permettent déjà d’entrevoir ce à quoi pourrait ressembler cette entreprise du futur. Chacune des start-up qui composent leur portefeuille est autonome et relativement fragile mais, au niveau macroscopique, l’ensemble est robuste et progresse symbiotiquement dans une perspective stratégique globale.

Parallèlement, de nombreuses entreprises innovent dans le domaine du recrutement et des ressources humaines afin de répondre à ce nouveau besoin de flexibilité des entreprises. Des start-up visionnaires imaginent déjà les entreprises décentralisées de demain, dont la gouvernance s’appuiera sur la technologie blockchain. D’autres se positionnent tout le long de la chaîne de valeur du recrutement : l’identification, la qualification, la contractualisation, la rémunération, etc. Grâce au digital, toutes les sources d’inefficiences de cette chaîne sont réduites. Nous entrons dans un monde dans lequel le digital permet d’identifier, de qualifier et de mobiliser des talents à la demande. Même de créer des équipes multidisciplinaires le temps d’un projet. C’est comme Uber, mais pour les métiers de l’entreprise.

Ainsi, le digital est à la fois une des tendances qui bousculent nos entreprises, mais aussi l’outil qui permet la mutation de celles-ci, leur ouverture et leur décentralisation – pour leur survie.