Corporate Venturing : « l’enfer est pavé de bonnes intentions » par M Griffou

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  • Ces trois dernières années, nous assistons au développement du Corporate Venturing en France (le Capital Investissement d’Entreprise).

    Plus de la moitié des entreprises du CAC40 ont d’ores et déjà structuré et développé une activité d’investissement à destination des jeunes entreprises. Solvay, Schneider Electric et Alstom ont abondé un fonds d’Aster Capital de 105 millions d’euros ; GDF Suez (Engie) en a lancé un de 100 millions sous son nom comme AXA plus récemment ; Publicis et Orange se sont associés pour confier 150 millions à Iris Capital, Air Liquide au travers de Aliad a plus de treize investissements en portefeuille (dont Sigfox), EDF a confié à Idinvest Partners la gestion de son fonds de capital-croissance CleanTech (Electranova), Pernod Ricard a son propre fonds Kangaroo Fund, …

    Le Corporate Venturing (C.V) nous est présenté comme ayant toutes les vertus, pour les startups d’abord qui trouvent une nouvelle source de financement (et des partenaires d’accélération opérationnelle) et pour les grands groupes ensuite qui y voient la constitution de portefeuilles d’options et une opportunité de se préparer à l’émergence d’innovations de rupture.

    Les laudateurs du C.V enjoignent les grandes entreprises à développer une stratégie d’acquisitions de start-up.

    Les laudateurs du C.V, de plus en plus nombreux, enjoignent donc les grandes entreprises à développer une stratégie d’acquisitions de start-up et à augmenter significativement leurs investissements trop modestes à leur goût (sa part dans le capital-investissement total est estimé à moins de 15% en France).

    Même la classe politique semble encourager cette pratique puisqu’un amendement d’Axelle Lemaire, la secrétaire d’Etat au Numérique, a été voté fin 2014 par le Parlement rendant possible l’amortissement sur cinq ans des prises de participation dans les start-up, réalisés via des fonds de capital-investissement d’entreprises (et officialisant pour certains contradicteurs un manque à gagner annuel en IS de plusieurs millions d’euros pour l’Etat).

    Le sentiment nous est donc donné qu’il n’y a pas d’alternatives.

    Le sentiment nous est donc donné qu’il n’y a pas d’alternatives pour des grandes entreprises engluées dans des modèles « bureaucratiques » incapables de se réinventer de l’intérieur et de créer de la valeur à partir de leurs assets et le 1er d’entre eux : leurs collaborateurs.

    L’argument qui est systématiquement mis en avant en faveur du CV. est l’impossibilité pour une même organisation de gérer l’existant et de créer de la nouveauté. On nous explique donc que « pour innover, il faut apprendre à combiner deux approches : l’une plus verticale, et sans doute défensive, sur «business» existants, centrée sur une démarche d’innovation interne ; l’autre plus horizontale, en acceptant d’aller faire son marché dans le maquis des start-up ». Cette nouvelle idéologie du management est ni plus ni moins inspirée des travaux de Peter Drucker et date de … 1974 !!! Autrement dit, d’un autre siècle. Les sciences du management ne nous ont-elles donc rien apportées depuis ? Et sur quels retours d’expériences concrets s’appuient ce type d’analyse, qui ne soient pas les sempiternels échecs de Polaroid, Nokia, Yahoo ou encore Hewlett-Packard ?

    Un autre argument qui devrait nous mettre tous d’accord pour s’engager avec force dans le CV est celui du fameux «banc de poissons» duquel doivent émerger les succès de demain. Il s’agirait selon cette approche d’investir tous azimuts en espérant engloutir au moins une bonne technologie ou un bon candidat à la disruption de son propre marché. Je resterai prudent quant à la réussite d’une telle démarche qui n’est ni une stratégie d’innovation ni une stratégie d’investissement. Les résultats risquent d’être assez hypothétiques et on pourrait reprocher aux dirigeants demain de dévoyer l’utilisation de l’argent des actionnaires (comme le laisse supposer la dernière lettre de Laurence Fink, patron de BlackRock).

    Chez les dirigeants d’entreprise, il y a donc des fashion victims.

    Chez les dirigeants d’entreprise comme chez les observateurs, il y a donc des fashion victims. Aucune de ces pratiques n’est mauvaise en soi bien sûr mais les mettre en œuvre de façon non construite, juste parce qu’elles sont à la mode et qu’elles ont prouvé leur efficacité dans d’autres contextes n’est pas une bonne idée.

    A moins de ne répondre qu’à un impératif de communication pour rassurer faussement les marchés sur la capacité de l’entreprise à rester dans la course à l’innovation !

    Au risque de vous surprendre après ces quelques lignes, je pense que le Corporate Venturing peut être en fait une bonne idée.

    La question est « moins de trouver la bonne technologie ou la bonne start-up que de compléter les connaissances internes de l’entreprise ».

    Mais pas pour les raisons qui sont systématiquement mises en avant inspirées d’une conception bien terne de l’avenir de nos grandes entreprises. Cette conviction je l’ai acquise il y a plus d’un an après avoir rencontré un responsable d’une entité de CV. d’un énergéticien français. J’avais été frappé par le discours plein de bon sens de mon interlocuteur. L’activité de CV pour le groupe avait autant d’importance par les « effets collatéraux » qu’elle devait générer que par le nombre d’investissements qu’elle réaliserait. L’entité de C.V donne à l’entreprise, m’expliquait-il, « les moyens de prendre une meilleure décision le jour où il faudra engager des ressources importantes sur des sujets d’innovation ». « Si nous parvenons à faire gagner un an à une entité de l’entreprise dans ses choix stratégiques sur des innovations de rupture, cela dépasse largement les retours financiers que l’on aurait pu attendre de nos investissements ». La question, poursuivait-il, est « moins de trouver la bonne technologie ou la bonne start-up que de compléter les connaissances internes de l’entreprise ».

    Tout est dit ou presque. Pour mon interlocuteur et le groupe auquel il appartient toujours, l’intérêt du C.V réside avant tout dans les nombreux « sous-produits » qu’il génère pour l’ensemble des activités du groupe et de ses collaborateurs : facteur d’apprentissage, détection de connaissances émergentes, insertion dans de nouveaux réseaux, reconnaissance de signaux faibles, acquisition rapide de connaissances tacites, évolution culturelle.

    Au sein de cette entreprise, en investissant dans les startups, on ne cherche pas à ouvrir de faux débat entre les capacités d’innovation des petites entreprises versus celles des grandes, à discuter de l’alternative « internaliser » ou « externaliser » le processus d’innovation et de R&D (comme j’ai pu le lire récemment). On cherche à faire évoluer l’entreprise et par de petites actions (investissements modérés) à provoquer de profonds changements durables au sein d’une grande entreprise.

    Enfin, je m’étonne que la plupart des prises de position en faveur du Corporate Venturing ne prennent pas en considération les bénéfices que les startups peuvent en tirer. Le principe de l’investissement dans une startup doit d’abord être motivé par l’expression d’un besoin réel de la startup de lever du capital (capital humain, capital productif, accès aux marchés) ce qui semble à l’opposé du concept de corporate venturing qui parait plus motivé par les besoins des grandes entreprises tel qu’on nous le présente. L’expression souvent employée de « faire son marché » est en cela assez symptomatique d’une approche déséquilibrée qui ne peut pas être gagnant – gagnant à terme.

    Les grandes entreprises ne souffrent pas d’un défaut d’audace mais d’un défaut de capacité ; capacité à se réinventer de l’intérieur.

    « L’enfer est pavé de bonnes intentions » comme le dit le proverbe. En matière de Corporate Venturing je ne peux qu’engager à la prudence et à la modération. Car les grandes entreprises ne souffrent pas d’un défaut d’audace mais d’un défaut de capacité ; capacité à se réinventer de l’intérieur.

    Au regard des nombreuses initiatives prises au sein de nos grandes entreprises, je suis certain que ce post peut ouvrir un débat passionnant et que nombreux seront ceux qui apporteront leurs contributions tirées d’expériences concrètes.

    A vous lire,