Le processus d’Appel d’Offres est un Tue l’Innovation ! par M Duval
Que l’Appel d’Offres (AO) porte sur un besoin existant à la recherche de solutions existantes, un besoin existant pour des solutions nouvelles, ou un besoin nouveau pour des solutions existantes ou nouvelles, l’innovation est attendue dans tous les cas, soit pour impacter le prix, soit pour permettre d’atteindre une performance au dessus de la norme. L’attente de cette innovation n’est par contre pas toujours clairement exprimée, et le plus souvent pas du tout et encore moins permise. Une sorte d’oxymore : ‘Chers prestataires, chers fournisseurs, surprenez nous par le prix et la performance mais avec des propositions et solutions sans risques et donc sans innovation’.
Bien entendu, on va me rétorquer que le domaine sur lequel porte un appel d’offres impacte quelque peu ce raisonnement : un AO pour concevoir et livrer une centrale électrique n’est pas la même chose qu’un AO pour l’animation d’une conférence, ou un AO du secteur public c’est différent d’un AO du secteur privé … Mais l’enjeu de permettre aux offres les plus innovantes de s’exprimer à plein n’est il pas le même dans le contexte de compétitivité mondial actuel ?
Voici comment tuer l’innovation en quelques étapes :
ETAPE 1 – Le cahier des charges: tant pis pour la formulation du problème
La plupart des méthodes d’animation de la créativité vont généralement démarrer par une phase de compréhension, de ré-appropriation et de reformulation du problème par les participants pour permettre la phase suivante de génération d’idées la plus créative possible.
A l’inverse, l’appel d’offre va généralement démarrer par une équipe projet qui va s’organiser à 3 ou 4 personnes (ou moins) pour décrire en quelques pages (parfois 2) le besoin, c’est à dire le problème à résoudre. Et la plupart du temps, cette description tend naturellement à fortement orienter et à cadrer la solution. Déjà perdu d’avance pour permettre des interprétations autres du problème, mais poursuivons …
ETAPE 2 – La pré-sélection de prestataires déjà référencés: tant pis pour les idées issues de nouveaux acteurs
Certains référencements de prestataires et accords cadres se font pour 2 ou 3 ans voire plus, pour permettre notamment aux Directions Achats de pré-négocier des prix. Beaucoup d’acteurs innovants, startups et PME, peuvent naître sur de telles périodes du fait de l’accélération des nouvelles technologies et de la réduction des cycles d’innovation: dommage de ne pas trouver un moyen d’ identifier et de solliciter ces nouvelles pépites. Lorsque certaines entités opérationnelles le tentent, c’est souvent ‘sous les radars’ ou au prix d’efforts surhumains et longs pour déboucher un contrat concret.
ETAPE 3 – Le délai de réponse: tant pis pour la co-création d’une solution
Une fois l’appel d’offre lancé, les répondants vont alors travailler pendant plusieurs semaines ou plusieurs mois, seuls dans leur coin, certes avec quelques possibilités de poser des questions par mail lors de quelques appels organisés, pendant lesquels d’ailleurs toute nouvelle idée serait partagée avec son concurrent potentiel: les candidats s’auto-sensurent et avalent leurs ‘Et si…?’. Aucune possibilité de proposer de s’organiser différemment pour permettre de co-créer des approches nouvelles avec l’émetteur du besoin.
ETAPE 4 – La sélection et les critères: tant pis pour la dimension innovante
La plupart des critères des appels d’offre mentionnent le prix, la pertinence de la réponse, les références, etc. Rares sont les AO qui mentionnent ‘la dimension innovante’ et la quantifie à hauteur d’un pourcentage, par exemple 5 à 10% de l’estimation totale de la valeur de la réponse ou encore moins en précise la notion. Avez vous déjà vu des cas d’AO ou l’on vous demande ‘Comment allez vous animer l’innovation pendant la durée du contrat si vous gagnez ?’.
ETAPE 5 – La négociation et l’évolution du projet: tant pis pour les idées d’amélioration continue
Une fois les finalistes ‘short listés’ s’engage une négociation sur des critères de qualité et de prix. Les réductions de prix lors du contrat initial (-10%? -20%? -30% ?…) vont ainsi venir mettre en péril l’agilité à demander et proposer des idées d’amélioration et d’innovation incrémentale dans un second temps pendant la durée effective du contrat: le fournisseur aura tendance à facturer très cher ces ‘Change Request’ pour tenter de rattraper la remise initiale du début du projet.
En bref, dans un processus classique d’appel d’offre:
- On limite le champs des opportunités dès la formulation du besoin
- On ne stimule pas le processus de co-création de solutions nouvelles
- On ne récompense pas le critère Innovation
- On se coupe de nouveaux fournisseurs potentiels et innovants
- On créé un contexte qui bloque la proposition d’innovation incrémentale pendant le contrat
Des dispositifs et des pistes existent pour corriger ces défauts, en voici quelques uns, et beaucoup d’autres restent à inventer :
- Autoriser des ateliers de ‘co-création’ avec les fournisseurs référencés dès les phases de formalisation du cahier des charges en s’engageant à ne pas intégrer leurs nouvelles idées dans le cahier des charges final
- Intégrer des critères liés à l’Innovation dans l’évaluation de la proposition
- Inciter des fournisseurs existants à intégrer dans leur proposition des parties sous traitées ou co-traitantes avec des startups et PMEs innovantes
- Ouvrir l’appel d’offre à 2 ou 3 startups innovantes suggérées par la Direction de l’Innovation
- Demander aux prestataires comment ils animeront le processus d’innovationpendant la durée du contrat
- Organiser et lancer des concours et appels à projets auprès de startups, PME, écoles pour identifier et collaborer avec des acteurs non encore référencés
- Intensifier le niveau de collaboration, et le plus en amont possible, entre la Direction Achats et les Directions Innovation et/ou Digital
- Et bien sur ne pas échauder les initiatives de prestataires pro-actifs à proposer des nouvelles idées en les intégrant sans eux une fois proposées ou pire en les réintégrant dans un nouvel appel d’offre. Au contraire, créer les Success Stories qui racontent comment des prestataires qui l’ont fait ont été récompensés de leurs efforts et de leur esprit d’ouverture.
- Etc.
Oui il s’agit d’innover aussi dans la manière de travailler et d’interagir avec son écosystème de parties prenantes #OpenInnovation !