Quand un grand groupe choisit d’investir au capital d’une start-up, de l’accueillir dans ses locaux (incubation) ou simplement de travailler avec elle, des pièges sont à éviter par F Debres

SwissLife cofinance sa propre disruption. En s’associant avec la start-up Budget Insight, la compagnie d’assurance et de gestion de patrimoine rejoint le rang des entreprises pré-numériques qui s’essayent à la collaboration avec les jeunes pousses. Les deux sociétés ont choisi le modèle de la joint-venture pour développer et lancer une application mobile Fintech, disponible sur iPhone (bientôt sur Android) et annoncé mardi 15 décembre, au Numa (Paris). LaFinBox donne à l’utilisateur multibancarisé une vision globale de son patrimoine bancaire et assurantiel, à condition que les établissements financiers qui abritent son argent ouvrent leurs serveurs à cet usage. Leur entreprise commune est baptisée CrossQuantum.

Il est trop tôt pour dire si ce partenariat sera mutuellement bénéfique. « La création de la joint-venture CrossQuantum est une modalité assez inédite de partenariat Grand Groupe – Fintech », constate Jean-Philippe Poisson, observateur du secteur et associé fondateur d’Elia Consulting, un cabinet de conseils en innovation et transformation. Sur le papier, grandes entreprises et jeunes pousses ont beaucoup à gagner à travailler ensemble . Mais la réalité est souvent plus compliquée. Créer à deux de nouveaux produits ou services numériques viables commercialement est un challenge. L’enjeu est aussi d’éviter que les équipes en interne perçoivent le nouvel attelage comme une concurrence supplémentaire. « Passé l’effet d’annonce, la collaboration avec une start-up conduit rarement au succès », prévient le spécialiste. Quand un grand groupe choisit d’investir au capital d’une start-up, de l’accueillir dans ses locaux (incubation) ou simplement de travailler avec elle, des pièges sont à éviter.

Acquérir une start-up : attention à ne pas la tuer

De prime abord, le rachat d’une start-up par un grand groupe ne crée pas beaucoup de valeur ajoutée. Les exemples de réussites sont rares. Pire, cette opération limite parfois l’expansion de la jeune pousse. « Souvent, les acheteurs demandent l’exclusivité aux équipes de la start-up alors que son modèle économique prévoyait qu’elle ait plusieurs clients », regrette Jean-Philippe Poisson. Si le grand groupe ouvre une opportunité pour la start-up – accéder à ses clients -, attention à ce qu’il ne l’écarte pas du reste du marché.

Autre problématique, les grands groupes n’ont souvent pas l’intention d’exploiter au maximum les capacités d’une start-up. « Les banques, notamment, rachètent des start-up mais ne veulent pas que ces dernières fassent trop de dégâts en perturbant les équilibres de valeur dans leurs marchés », explique Jean-Philippe Poisson. Résultat, la start-up est riche en argent mais pauvre en projets et en ambition. L’avantage, peu entrepreneurial, est d’empêcher un potentiel futur concurrent de grandir…

Investir dans une start-up : attention à rester sur son marché

Moins engageante, et donc moins contraignante pour la start-up, la montée au capital (généralement via un fonds d’investissement) permet au grand groupe de garder un œil sur les progrès de la jeune pousse pour mieux connaitre son marché. Toujours soucieux d’éviter de financer les sociétés qui le mettront en danger, les grands groupes ciblent généralement les start-up en périphérie de leur marché. « Les entreprises installées n’ont pas intérêt à financer la concurrence sauf à vouloir l’enterrer, remarque Jean-Philippe Poisson, mais cette méthode de travail est récente et peut-être que de bons résultats vont en découler. » Il est donc encore trop tôt pour savoir si faire grandir un petit acteur à sa marge permet d’élargir son spectre sur un marché… ou ne revient qu’à s’éparpiller.

Incuber une start-up : attention à l’engagement en interne

« Poser une start-up au milieu d’un grand groupe ne suffit pas à le transformer », juge également Jean-Philippe Poisson. Il regrette que les dirigeants opérationnels ne soient pas moteur pour faire travailler les start-up présélectionnées par la direction innovation ou numérique de l’entreprise et que le groupe est censé soutenir et qu’il accueille fréquemment dans un espace dédié à l’open-innovation . Pour être crédible, les innovateurs manquent de la légitimité de celui qui gère un P&L. Pourtant, l’idée est bonne : en mettant en contact les salariés de l’entreprise avec ceux de la start-up, le numérique essaime peu à peu dans l’organisation . BNP Paribas vient tout juste de créer un « Accélérateur » FinTech pour rapprocher jeunes développeurs et collaborateurs de la banque.

Travailler avec une start-up : attention aux exigences de la direction achat

Cette tactique de « l’essaimage » pourrait aussi fonctionner dans une relation de donneur d’ordre à sous-traitant . Mais, là aussi, des difficultés sont à éviter. Au premier coup de fil, un grand groupe fait naître l’espoir chez un entrepreneur. Après la première rencontre, c’est souvent la douche froide. « Classiquement, la direction achat veut faire entrer la start-up dans un processus trop lourd pour elle, par exemple en lui demandant des spécifications sur un produit qui n’est pas encore fini », détaille Jean-Philippe Poisson. Autre incompatibilité courante, les systèmes informatiques datés du géant ne se connectent pas avec ceux de la start-up. Du coup, le grand groupe hésite longtemps avant de s’engager avec une start-up. La crainte est aussi de voir cette petite entreprise, par nature fragile, disparaître au milieu d’un projet. « En réalité, c’est cette attente qui tue les start-up car arrive un moment où elles manquent d’argent », se désole Jean-Philippe Poisson.