Collaboration start-up et grands groupes, l’acheteur au cœur de l’innovation ouverte par C Legros

L’Agence pour l’Innovation Ouverte (AIO) a publié au début de l’été son guide de bonnes pratiques. Focalisé sur les start-up, il propose des pistes de travail pour leur permettre de développer leurs relations avec les grands groupes.
La fonction Achats y est citée à deux niveaux, avec la nécessité d’une « adaptation des processus de décision », d’une part, et la mise en place d’actions de sourcing inter-organisations pour améliorer l’accès au marché par les start-ups, d’autre part.
Adapter les modes de fonctionnement des directions Achats, au service d’une meilleure collaboration avec des start-up, nécessite une transformation de la fonction Achats et la mise en place d’une démarche duale.

Quelles sont les adaptations nécessaires des processus et pratiques Achats pour favoriser l’innovation ouverte avec les start-up ?

L’acheteur poursuit sa quête de réduction des coûts

En 2016, la priorité des acheteurs demeure la réduction des coûts. 74% des Directeurs Achats font de la réduction des coûts leur priorité selon Deloitte (The Deloitte global CPO survey 2016), 91% selon Capgemini Consulting (Global Chief Procurement Officer Survey 2016).
L’acheteur utilise les leviers classiques dont il dispose : rationnaliser, mutualiser, négocier… et veille à la bonne application des stratégies achats, à tous les niveaux de l’organisation. Au cœur de la réduction des coûts, la mise en place de panels a conquis toutes les familles achats, dans des logiques de massification.

Le processus de référencement, vertueux pour l’entreprise qui souhaite optimiser son sourcing et développer des relations avec ses principaux fournisseurs, trouve ses limites lorsqu’il s’agit d’identifier des solutions innovantes auprès de start-up. Suivre un processus Achats de plusieurs mois représente un investissement considérable pour une start-up. Et lorsqu’elle décide de tenter l’aventure, elle ne répond souvent pas aux conditions Achats (fourniture des bilans sur plusieurs années, par exemple). Pire, le référencement de la start-up peut freiner son développement au sein de l’entreprise cliente. En rentrant dans le radar des acheteurs, le taux de dépendance de la start-up sera observé de près, risquant de limiter ses sollicitations. Et lors du renouvellement du panel, ayant réalisé un chiffre d’affaires limité par rapport aux autres compétiteurs du panel, elle ne sera probablement pas consultée à nouveau, et cela alors même qu’elle aura atteint une taille critique. Si la start-up parvient à se faire référencer, elle risque donc de ne gagner qu’un ticket pour un tour.

En outre, dans des contextes où l’évolution des marchés est en constante accélération, comment s’assurer que le besoin des prescripteurs n’a pas évolué durant les plusieurs mois du processus de référencement ?

Une double impasse : laisser passer l’innovation ou mettre en risque l’entreprise

Ne pas s’emparer du sujet positionne la fonction Achats dans une posture de contrôleur, a posteriori de l’acte d’achats. Un prescripteur aura développé une relation avec une start-up, non identifiée par la direction des achats. Cette dernière n’aura donc pas été en mesure de sécuriser la relation, en veillant notamment à la capacité de la start-up à délivrer le produit ou service proposé. Sans intervention de l’acheteur, l’entreprise se retrouve ainsi exposée à des risques fournisseurs.

Autre cas de figure possible, le prescripteur sollicite la direction achats qui oppose la politique Achats pour refuser de contractualiser avec la start-up, ce qui prive ainsi l’entreprise de sources d’innovation.

Dans les deux situations, l’épisode se soldera par un affaiblissement de la relation entre l’acheteur et ses clients internes qui lui reprocheront de ne pas « être ouvert », voire de ne pas maîtriser le marché fournisseur.

Adopter une logique de massification ouverte

 

Pour favoriser l’innovation par des collaborations avec des start-up, une démarche duale de massification ouverte permet à l’acheteur d’identifier et d’accompagner les entreprises qui n’entrent pas dans les critères de référencement, tout en maintenant une dynamique de massification.

 

La démarche de massification ouverte peut se mettre en place en trois étapes.

Première étape, définir les secteurs prioritaires

Un sourcing efficace et, par la suite, un accompagnement des start-up identifiées impliquent un investissement, avec des ressources dédiées, tant au sein de la fonction Achats que du côté des directions prescriptrices.

La démarche de massification ouverte nécessite de focaliser les efforts sur les secteurs pour lesquels un sourcing innovant sera susceptible d’apporter le plus de valeur pour l’entreprise. Cette étape d’identification des secteurs prioritaires est menée en collaboration avec les autres départements de l’entreprise, et est guidé par les objectifs définis pour la démarche de massification ouverte : les initiatives peuvent viser l’amélioration de l’expérience client, des produits ou services proposés, ou de l’efficience des fonctions de l’entreprise.

Par exemple, le speed meeting PME – start-up innovantes lancé par le Groupe Crédit Agricole s’est principalement focalisé sur le troisième levier avec cinq segments de sourcing : Digitalisation, Immobilier, Conseils métiers, Moyens généraux & services à l’occupant, Marketing & communication. Lors de sa journée Achats et Innovation, Bouygues Construction a récompensé notamment Techniwood (mise au point d’un composite destiné à la construction et à la réhabilitation des bâtiments durables) et A2C (mise en place d’une cage d’ascenseur monobloc), mettant en avant une démarche davantage orientée sur l’amélioration de ses produits et services.

Il est à noter que les démarches Achats à destination des start-up englobent souvent start-up et TPE-PME, les événements purement start-up étant davantage portés par la Direction de l’Innovation.

Seconde étape, animer le sourcing

L’identification des start-up peut s’appuyer sur un premier screening, réalisé auprès des incubateurs, ou encore en lançant un appel à projet. Toutefois, identifier la start-up, avant ses concurrents pour bénéficier d’un avantage compétitif, nécessite la mise en place d’un dispositif structuré et animé, pour lequel l’acheteur peut devenir un chef d’orchestre, ou un relais clé aux côtés de la Direction de l’Innovation. Avec les réseaux sociaux professionnels (LinkedIn, Brandedme…), une start-up peut solliciter directement un prospect au sein d’une organisation, chaque collaborateur devenant ainsi des capteurs potentiels de start-up. Le rôle de l’acheteur est alors d’animer ces capteurs et aussi d’en déployer au sein de l’entreprise et de son écosystème. L’acheteur évolue ainsi en réseau avec les acteurs internes (Lab, incubateur, directions métiers…) et externes pour rester en veille. Le sourcing s’effectue en « push », lorsque l’acheteur se rend à des événements dédiés à l’innovation, ou en « pull » avec la mise en place d’interface (portail en ligne par exemple) permettant aux start-up de proposer leurs services, ou aux collaborateurs de proposer des start-up.

L’acheteur doit formaliser une grille d’analyse des start-up pour industrialiser l’évaluation de la pertinence de développer une relation ou non. Cette grille permet de valider la sortie de la start-up de l’entonnoir de la massification, et acte des moyens à mettre en place pour sécuriser la collaboration. La Direction des Achats doit également communiquer en interne pour sensibiliser les collaborateurs aux bonnes pratiques et points de vigilance, et partager les succès de collaboration. L’enjeu pour l’acheteur est d’être capable, en permanence, de proposer des solutions de collaboration avec des start-up, au-delà du timing des cycles de concours animés par la Direction de l’Innovation.

Troisième étape, adapter les pratiques Achats, avec des contrats plus souples, des conditions de paiement ajustées et une couverture du risque fournisseur compensée par des mesures d’accompagnement. En effet, si une start-up peut être source d’innovations, elle demeure surtout une structure fragile par essence étant « une organisation temporaire créée pour trouver un modèle économique pérenne et capable d’expansion » (Steve Blank). Selon l’INSEE, 49% des start-up échouent dans les cinq premières années.

Cette adaptation des pratiques achats peut inscrire les initiatives Achats dans un dispositif plus large d’accompagnement des start-up, parfois même dans des logiques d’expérimentation. C’est le passage de la seconde à la troisième étape qui permet de concrétiser la démarche duale et de créer une relation viable avec la start-up. L’enjeu est de dépasser les effets d’annonce – un événement de sourcing orienté start-up constitue un relais de communication séduisant tant en interne qu’en externe – pour créer une collaboration pérenne.

Si cette relation peut être facilitée avec des pratiques Achats différentes, un dispositif d’entreprise permettra d’accompagner l’évolution de la start-up (mise à disposition d’équipements, mise en relation avec des partenaires, communication conjointe… ou autres bonnes pratiques, détaillées notamment dans le guide de l’Alliance pour l’Innovation Ouverte).

Le dispositif doit être piloté avec des indicateurs permettant de mesurer son ampleur (nombre de start-up rencontrées par les acheteurs), et son efficacité : taux de transformation (start-ups rencontrées qui ont travaillé avec l’entreprise), contribution des start-up et à la performance de l’entreprise (par une amélioration du chiffre d’affaires, des coûts évités…), ou, à l’inverse, contribution de l’entreprise au développement des start-ups. Les impacts des achats sur le dispositif d’innovation de l’entreprise sont ainsi valorisés, de même que les impacts des collaborations avec des start-up sur la réalisation des missions de la Direction des Achats.

L’acheteur, facilitateur de l’innovation ouverte

Au-delà des gains business générés, une telle démarche ne peut que valoriser le rôle des acheteurs, lesquels remontent en amont du cycle Achats et se mettent en capacité de challenger le besoin de demain en proposant des solutions innovantes.

Devenu un facilitateur de l’innovation, notamment en accompagnant les prescripteurs qui auront identifié des start-up innovantes, l’acheteur renforce ses relations avec ses clients internes. En exploitant l’interface qu’il porte entre son organisation et son écosystème, l’acheteur se positionne dans les modèles managériaux ouverts et collaboratifs.

Individuellement, le contact avec des start-up pourrait, très probablement, permettre à l’acheteur de découvrir de nouvelles pratiques, inspirantes pour son quotidien.

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